L’Europe et l’Allemagne sont au cœur d’une longue Histoire marquée par la guerre. Dans « Les Ailes du désir » de Wim Wenders, une certaine tension dramatique s’installe. Comment agir et reconstruire la vie? En quoi ce film fait-il allusion à une page de l’Histoire Européenne et Allemande ?
Ce film se dessine à travers un jeu d’opposition entre l’ancien et le renouveau, l’action engagée contre l’autorité et la ville de Berlin en tant que décor de guerre.


Dans ce film, beaucoup de choses s’opposent, comme les vivants et les anges, l’Est et l’Ouest de l’Allemagne. Cette rupture fut imposée à la fin de la seconde guerre mondiale en 1945, suite à la défaite allemande. Ce film raconte l’histoire d’Etres qui patientent passant le plus clair de leur temps entre deux espaces : celui des vivants et leur monde à eux. D’un point de vu géographique, chaque Ange navigue entre la ville habitée et le Potzdamer platzet ; un No man’s land situé entre les deux états.
Ce no man’s land est à l’image de la vie intérieure des anges, quelque chose se passe, sommeille en eux. Potzdammer platz était autrefois un lieu fort animé, située sur un axe majeur de Berlin. Cette rupture a marqué l’Allemagne. Ce lieu est celui de la non-vie, les débris, les gens y vivent tels des fantômes qui errent sans but. Prenons l’exemple du passage où l’ange répondant au nom de Damiel chute, il va se retrouver parmi des individus de passage. Il y a la marque indélébile du passage dans ce film, comme pour illustrer cette scission de l’Allemagne, qui va subir une perte d’identité. Chacun va devoir apprendre un rôle, être du côté des capitalistes ou des socialistes.
Dans les vestiges de la gare centrale d'Anhalter, un acteur de passage, un ancien ange, va rencontrer Damiel. Ils vont converser devant une boutique ambulante, marquant une fois de plus cette dimension de non-lieu fixe. On a alors la mise en place d’une autre idée, celle de l’action. Ces anges passifs peuvent agir et devenir vivant. La chute marque donc le basculement d’une vision monochrome à une vision en couleur


D’un point de vu symbolique cette chute peut être comparée à un refus de l’autorité. L’être va se réaliser à travers ses actions, ce qui est comparable à la notion d’existentialisme.
Le personnage va agir par l’action, va s’accomplir par l’action. Jusqu’à présent dans ce film, ces anges passifs ne font que regarder et espionner l’intimité et les pensées des gens. Ces personnes passives sembles être la projection du mal-être de l’Allemagne nazi, qui a été expliqué par une expérience de Milgram. En effet, l’individu va se soumettre à une autorité. Il y a dépersonnalisation de l’action : le sujet agit par obligation. Dans ce film l’image des anges passifs qui regardent et qui écoutent, n’ayant aucune emprise sur le monde, serait l’expression symbolique de ce mal-être allemand.
Dans ce film où est le divin ? Où se trouve le Dieu ? Qui est cette autorité ? Le spectateur est livré à lui-même à l’image de ces individus qui errent sans but. La chute en elle-même fait mal, Damiel en saigne, il y a une confrontation directe avec le monde, une renaissance. L’ange va peu à peu être confronté à un monde en couleur, il va devoir redécouvrir cet univers qui lui était proche. Comme dans « Good Bye Lenine », ce film illustre parfaitement ce renouveau : les allemands après la chute du mur vont devoir réapprendre à vivre, avec une nouvelle monnaie pour l’Est. La découverte de nouvelles saveurs avec la disparition de certains produits. Un changement de peau avec de nouveaux vêtements. Dans notre film, lorsqu’un ange chute, il y a son armure qui se détache de lui. Cette armure est comme le reste des débris du mur, comme une cicatrice rappelant le passé.

Berlin est meurtrie par la guerre. Le temps semble s’être arrêté. Le point de départ du film est un poème où apparaissent des réflexions existentielles. On a comme un besoin de créer par ce film l’Histoire d’une genèse et l’éloge de l’enfance. Rien ne préexiste à Berlin, l’humanité est morte avec le mouvement Nazi. Ce film est marqué par un mouvement de transition, une renaissance. L’Ange va redécouvrir le monde tel un enfant. Ce bouleversement s’apparente à celui qui a marqué l’Histoire de l’Allemagne et l’Europe suite à la chute du mur en 1989. Ici les ruines de Berlin sont les stigmates de la guerre passée.
Dans les ruines, l’Ange marche seul. Il y a peu d’action, beaucoup d’attente. Beaucoup d’éléments renvoient à un sentiment de solitude immense. Si un film traite de la transition de l’Allemagne, on peut supposer que l’idée de solitude apparaîtra. La recherche d’une solution passe par la rencontre et la découverte des autres. En dehors de l’aspect artistique, il est important de noter qu’il est le fruit d’une coproduction franco-allemande, de même Arte a inauguré sa chaine avec la diffusion de celui-ci. Ce film offre une vision de l’union, de renouveau européen.


En conclusion, ce film est l’écho de l’Histoire de l’Europe, il serait la genèse d’une nouvelle Allemagne. Où les hommes tels des papillons sortiront d’un cocon. Les anges sont au dessus d’eux, ils voient tout, ils sont témoins de leurs peurs, de leurs humanités.
La rupture et la re-naissance sont au cœur du sujet. Mais nous avons également un autre élément d’observation. Les anges voient tout, savent tout. Cette hyper surveillance rappelle celle opérée par la Stasi, mais cette interprétation serait tendancieuse car elle serait en opposition avec le message de paix véhiculé par le poème d’ouverture et le couple formé par Damiel et Marion.

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le 14 janv. 2014

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