Pour être déjanté et loufoque, le dernier Almodovar l'est de bout en bout. Si le mécano Antonio Banderas, sur le tarmac de l'aéroport de Madrid, avait été un peu plus consciencieux alors qu'il vérifiait les trains d'atterrissage et s'était moins focalisé sur les charmes de Penélope Cruz, s'il n'avait pas coincé le train en y oubliant un outil, les passagers de la classe affaire du vol PE2549 n'auraient pas été soumis à une terreur collective, à une psychanalyse de cheval, à un atterrissage forcé, à une évacuation infernale sur les toboggans de la mort...

Unité de lieu, de temps et d'action, les trois de la tragédie antique sont employés ici par Almodovar afin de rappeler que le monde, à l'image de son avion fou, est en train de sombrer corps et âme. Ce dernier opus résonne comme un conte moral, un rien scabreux dans le fond et vulgaire dans la forme, avec ses incohérences, ses exagérations, ses caricatures et ses personnages extrêmes qui, chacun à leur manière, sont sensés incarner un traumatisme de la société contemporaine : la corruption, la peur, la culpabilité, la superstition. Tout cela est tragique mais exprimé sur le ton de la farce et de la dérision, comme un éclat de rire provocateur face au gouffre.

C'est un retour aux sources, dit Almodovar, un retour réclamé par mon public. En Espagne, dans la rue, les gens m'arrêtaient pour me supplier de refaire une comédie sur nos propres malheurs, afin de rire de ce qui nous fait tellement mal. C'est vrai que Le piel que habito, mon dernier film était particulièrement sombre. Mais, comme souvent, la conclusion se révélait optimiste. Quand le héros, transformé en jeune fille après de multiples manipulations chirurgicales, retournait chez sa mère, celle-ci reconnaissait son enfant. Pour elle, il n'avait pas changé. C'était cela la bonne nouvelle. Dans Les amants passagers, les trois stewards forment comme le choeur d'une tragédie antique. Ils incarnent la force du rituel. Sur un vol, tout est planifié. Chacun répète le même texte et exécute les mêmes gestes. Je pense que cela rassure les passagers.

Je n'ai jamais eu de problème avec l'homosexualité et la bisexualité, cela apparait bien dans ce film où les stewards sont homos et le pilote bisexuel. Il se sent d'ailleurs extrêmement coupable. Dans le cockpit, il appelle sa femme pour lui dire qu'il l'aime. Elle est très étonnée, car ce qu'il ignore, c'est qu'elle sait tout et qu'elle s'en fiche. Moi, je considère que la sexualité est un cadeau et qu'il faut savoir la célébrer de façon extrêmement naturelle, comme une joie et non comme un fardeau. La société espagnole traverse une époque épouvantable, la pire depuis le retour à la démocratie. Cet avion qui tourne en rond au-dessus du même lieu est une métaphore de l'état de la société espagnole qui va complétement à vau-l'eau. Quand va-t-elle atterrir ? Avec qui aux commandes ? Personne ne le sait mais tout le monde y pense. Nous vivons dans une incertitude totale et dans un pays rongé par la corruption, l'insécurité et le doute. Comme mes semblables, je redoute un attterrissage forcé.

C'est là toute la morale de ce film qui déçoit parce que le scénario est trop lâche, mais qui en dit plus qu'il n'en a l'air, bien qu'il ne le dise pas toujours comme nous l'aurions souhaité. La dérision y est, la concision, non.
abarguillet
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le 5 avr. 2013

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