Après "Tom à la ferme " et "Laurence Anyways", je poursuis mon exploration Dolan avec l'opus préféré de l'amie qui me le conseillait chaleureusement.

L'apparition d'un ange blond bouclé (Nils Schneider, sculptural) vient dézinguer la complicité d'un couple d'amis : chacun rivalisera d'ingéniosité pour s'approprier les faveurs de l'élu de son coeur, dont l'ambiguïté sexuelle trouble tout autant Marie, et ses robes anachroniques rose pétant (Monia Chokri, dont le visage est parfois d'une beauté touchante, parfois d'une dureté surprenante), que Francis, un hipster qui se prend pour James Dean (Xavier Dolan, dont le sourire tordu est fascinant). Le trio se dessine et se déchire : les amis en viennent aux vacheries tandis que l'ange blond savoure les désirs qu'il sait provoquer en poussant au bout de leurs contradictions les deux timides marginaux qu'il a pris dans ses rets.

Ces amours contrariées sont entrecoupées de fragments de discours amoureux et de scènes post-baise avec des filtres à la Godard, et rythmées par une lancinante reprise de "Bang Bang" par... Dalida. Dolan abuse parfois un peu des ralentis dramatiques, mais sait filmer avec grâce et justesse les visages - c'est quelque chose qui m'avait déjà frappée, dans "Tom à la ferme" : il arrive à en faire exsuder la pleine sensualité, le désespoir muet de qui se rend compte que l'objet de ses attentions se dérobe à lui, l'incompréhension fascinée, la jalousie qui durcit les traits, la beauté nonchalante... Toute une gamme d'émotions fort juste(s) dans laquelle on ne peut que retrouver ses propres souvenirs amers (ceux de l'ado qui lisait trop Musset), et qui semblent d'autant plus justes qu'elles ne sont pas soulignées par des discours inutiles. On ressent bien la gêne qui peut s'emparer de nous, face à quelqu'un qu'on adore en secret et auprès de qui on voudrait secrètement briller, la fascination pour un corps inatteignable, l'espoir grandissant quand un geste déplacé, une parole inconsciente, semblent promettre des miettes d'affection qui ne viendront jamais, les discours stupides que l'on peut prononcer faute de parvenir à être pleinement soi-même, tant le stress de la proximité et des possibilités peut bloquer - et tant l'on refuse d'écouter la voix en soi qui tente de nous faire comprendre que cet amour n'est qu'imaginaire. Puis la chute, la difficulté à oublier ce fantasme dont on s'est amouraché, dont on n'a jamais connu que les contours, et qui nous renvoie à notre solitude.

Je ne suis pas très fan de l'esthétique pop années 80 et de l'utilisation un peu forcenée d'une bande-son émotionnelle (cela m'a fait penser, dans une moindre mesure, à l'utilisation très "hype" et outrancière de la musique par Tarantino). Mais il y a un regard intéressant, parsemé de quelques très beaux plans ou de scènes bien pensées (https://www.youtube.com/watch?v=roLmFo3rWYc), et qui, s'il est parfois trop sur-esthétisé et s'attarde trop sur les détails, arrive autant à intriguer qu'à agacer (je n'ai pas bien compris le sens de ses zoom/dé-zoom sur les interviewés : une façon de faire comprendre qu'il fallait ajuster notre regard ?).

Mais la photographie était tellement belle et la façon d'aborder les sentiments souvent si juste que je lui ai pardonné ces quelques tics maniéristes. Sans être aussi enthousiaste que mon amie, j'ai été séduite par cette vision sensuelle et amère de ces passions unilatérales. A découvrir.
LongJaneSilver
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le 9 mai 2014

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