Critiquer son premier Steven Spielberg et commencer avec Indiana Jones
Autant prévenir de suite et assumer : je ne serai pas à la hauteur ; je me contenterai sans prétention de survoler quelques aspects incontournables du métrage pour évoquer quelques-uns de ces innombrables plaisirs qui font que, plus de trente-cinq ans après sa sortie initiale, ce premier opus – tout comme les deux suivants – me fascine toujours, ces petites évidences qui m’embarquent sans retenue dans l’aventure. Qui participent du mythe.


Raiders of the Lost Ark est



un monument du cinématographe,



un chef d’œuvre du divertissement, un film à la fois hommage et novateur qui vient souligner très tôt les indéniables talents du jeune réalisateur Steven Spielberg, de son excellent scénariste Lawrence Kasdan, et du producteur encore visionnaire George Lucas, à l’origine du projet : les trois hommes creusent leur place dans le gotha d’Hollywood et se font grand plaisir de combler là les envies d’évasion de millions de spectateurs assoiffés d’imaginaire.



Fantastique, drôle, haletant, en un mot : efficace.



En premier lieu, il faut souligner le désir évident de créer là un personnage et une franchise dignes des meilleurs James Bond : l’ouverture le dit de suite avec l’immersion immédiate dans l’action. Au cœur de l’Amérique latine, Indiana Jones touche au but de sa quête d’une idole tribale ancestrale, l’occasion d’une caractérisation rapide du héros : l’emblématique chapeau, le fouet et l’audace, l’improvisation constante, et surtout ce courage qui ne se dérobe que face aux serpents puis, retour en cours, aux étudiants. Ceci fait, le professeur Jones est contacté par les services secrets américains qui désirent le voir rapporter l’Arche d’Alliance pour couper l’herbe sous le pied des nazis, entre les mains desquels la sécurité mondiale serait alors menacée.



La structure toute entière du film découle ainsi d’une écriture classique du cinéma spectacle,



et dit combien les auteurs ne se sont pas lancé dans le projet sans l’assurance d’une culture cinématographique forte, combien ils savent tout ce qu’ils doivent à une histoire artistique déjà riche du divertissement et de la narration.


Passé cela, Steven Spielberg déroule son cinéma exigeant avec un impressionnant sens du rythme : pas un seul temps mort, les deux heures du film s’évapore en un claquement de doigt, beaucoup trop vite pour ne pas être un poil frustré de voir le générique se dérouler quand le cœur bat encore au rythme des péripéties incessantes des personnages. Chaque scène prépare la suivante sans répit et l’aventure nous promène des Etats-Unis aux îles grecques en passant par le Népal et l’Egypte, où le cœur du film investit un chantier de fouilles archéologiques magnifiquement reconstitué, sans jamais laisser poindre le moindre soupçon d’ennui. L’ensemble des décors, de la jungle amazonienne aux cryptes égyptiennes, des couloirs de l’université à ceux du cargo, en passant par le bar népalais, sont utilisés de fond en comble : chacun des détails qui les peuplent apporte quelque chose à l’action, dénotant d’une intelligence rare de mise en scène autant que d’une vision narrative globale qui ne laisse rien au hasard, qui se focalise précautionneusement



sur le fil de l’imaginaire autant que sur celui des émotions.



Si les spectateurs se retrouvent tellement happés par l’œuvre, c’est parce que le regard est lié, du début à la fin, aux gestes imprévisibles du héros, à leurs conséquences immédiates autant que lointaines, parce que tout va dans le sens de la spontanéité et de la surprise et que rien de ce qu’on pourrait attendre ne se déroule comme prévu. Et de multiples visionnages n’y changent rien : il y a une telle densité d’action, une richesse de narration qui semble se renouveler sans fin. Pas de répit et aucune déception. De là nait l’incomparable plaisir du voyage.


Un des autres aspects séduisant de l’aventure, c’est la diversité de tons : rien n’est jamais figé. Suspense, intensité dramatique, désamorçage comique, il y a de tout. Jusqu’à une certaine sensualité irrésistible lors de la scène du baiser dans la cabine du cargo au cours de laquelle le héros ne se laisse embrasser par son tendre amour de jeunesse qu’aux rares endroits de sa peau non blessés – on ne peut s’empêcher de penser que c’est là que Jean-Pierre Jeunet a puisé l’inspiration du magnifique baiser final du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.


Niveau photographie, Raiders of the Lost Ark est également un petit régal de naturalisme pour l’ensemble des extérieurs et lors de quelques intérieurs. Douglas Slocombe, directeur de la photographie, distille de très belles ambiances et sait assurément mettre en valeur les nombreux paysages du métrage, aussi différents soient-ils, renforçant l’aspect touristique du film, affirmant l’ouverture et l’évasion. La petite cerise sur le cake, ce sont les intérieurs nuit,



le réalisateur et son opérateur connaissent parfaitement leur expressionnisme :



le jeu des ombres portées dans les lueurs artificielles de nocturnes sombres vient donner une belle profondeur au suspense et s’affirme rapidement comme une des signatures de la franchise.
Entre hommage et leçon de narration photographique.


Un mot sur le casting avant de conclure : Harrison Ford vient à l’époque de connaître la gloire grâce à son rôle de Han Solo pour Star Wars. Confiance réitérée, il se voit ici offrir un autre rôle inoubliable et, grâce à cette composition sur le fil, toujours juste, ancre là son statut d’acteur majeur de sa génération. À ses côtés, Karen Allen profite de la dynamique et son personnage de femme forte marque un tournant novateur dans la peinture poussiéreuse des héroïnes américaines : loin du faire-valoir, elle est tout autant la complice que l’obstacle, et porte avec caractère la remise en question des relations traditionnelles du couple. Dans le rôle de Sallah, John Rhys-Davis trouve son premier emploi et dépasse lui aussi l’habituel caricature de l’oriental pour livrer un acolyte à dimension humaine : drôle autant qu’émouvant. Avec un relief rare et délicieux. Pas un rôle n’est laissé de côté, pas un comédien ne vient ternir la partition :



une harmonie collective sublime ainsi la mise en scène et la narration.



Récompensé par un incroyable succès public et critique, Raiders of the Lost Ark mérite toujours l’adulation des spectateurs. Loin d’avoir vieilli, ce film qui a su renouveler un genre reste aussi surprenant et captivant qu’à sa sortie et vient confirmer, après quelques autres succès, le talent du jeune réalisateur alors hors-norme et qui, trente ans plus tard, est justement devenu la norme, maître artisan de plusieurs générations de cinéastes après lui. Trois ans plus tard, les nouvelles aventures d’Indiana Jones connaitront le même succès et la trilogie se fermera à l’orée des années quatre-vingt-dix avec une attente merveilleusement récompensée pour des millions de fans à travers ce globe que l’aventurier arpente et à travers l’Histoire qu’il dépoussière sans prendre de gant.



Au panthéon des indispensables du cinéma, Raiders of the Lost Ark a définitivement sa place.



Mais tout ça, vous le saviez déjà.

Créée

le 4 juin 2017

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