20 décembre 2012

Il sort enfin, le film qui aura peut-être fait le plus parler de lui ces derniers mois : dire que l’on attendait avec impatience la toute première réalisation de Benh Zeitlin relève du doux euphémisme. Caméra d’or à Cannes, Grand Prix du festival du film américain de Deauville, Grand Prix du jury au festival de Sundance… Dès sa sortie, la critique a chanté la gloire du réalisateur de trente ans, le décrivant comme la nouvelle étoile du cinéma indépendant américain (rien que ça !). Alors moi aussi j’étais impatient de voir cette petite merveille annoncée. L’histoire est celle de Hushpuppy, petite fille du bayou de Louisiane, qui vit avec son père, Wink, dans un paisible bidonville, en un lieu connu sous le nom de « la Baignoire ». Les habitants vivent à la frontière de l’eau de la terre ferme, boivent du tafia, pêchent le crabe, tout en ne manquant pas une occasion de faire bruyamment la fête. Une institutrice fait rêver les gamines du coin en leur racontant comment l’homme fait fondre la glace, et comment les eaux submergeront les continents. Un beau jour, un ouragan approche des côtes, plus puissant que tous ses prédécesseurs. Les habitants fuient, tous, sauf Hushpuppy et son père, ainsi que quelques autres qui décident de braver la tempête, refusant de quitter ce lieu où ils ont bâti leur existence. L’océan submerge « La Baignoire », emportant maisons, animaux, voitures, routes. Du haut de ses six ans, Hushpuppy regarde la nature se déchainer, les derniers habitants lutter pour leur survie, son père que la maladie gagne peu à peu, et s’interroge sur sa place dans le grand ballet de l’univers.
Benh Zeitlin nous livre d’abord un film sur son amour de la Louisiane, parcourant un univers de miséreux, de cabanes, et de mangroves, pour nous en révéler la beauté et la poésie. Le réalisateur a découvert la Louisiane quand il est venu y tourner son premier court-métrage, « Glory at sea » et a su tout de suite qu’il reviendrait. Ne disposant que de peu (ou pas) de moyens, Zeitlin recrute les habitants sur place, les uns pour faire à manger et porter les bières, les autres pour jouer (Wink, le père, n’est autre que le boulanger communal). Le tournage fut chaotique et prit parfois des allures de western : l’équipe s’est retrouvée prise au beau milieu du naufrage de la plateforme pétrolière Deepwater, et a dû jouer à cache-cache avec les forces de police. Impassible, Benh Zeitlin continue de filmer, les accidents du quotidien lui fournissent les péripéties du film. Le montage va prendre deux ans, les effets spéciaux sont à refaire, l’argent manque, le réalisateur qui a bien manqué de se tuer en voiture, bouclera le film avec ses frais d’assurance.
Le résultat est une œuvre d’une beauté indéniable, où l’on est pris dans un concerto d’images et de sons et une atmosphère sale et survoltée de clochards, pêcheurs, marins d’eau douce, et autres vagabonds du Bayou, sauvages, fiers, et un brin frapadingues.
Le jeune réalisateur a dû voir l’œuvre de Terrence Malick : à chaque plan on croit retrouver la patte de l’auteur de « The Tree of life », ses longs plans silencieux où l’on entend la voix de Hushpupy, ses pensées les plus profondes qu’elle nous livre au rythme de la musique, lente berceuse chez Malick, joyeuse fanfare chez Zeitlin ; cette manière de filmer longuement les paysages en de long travelings au fil du fleuve. Les personnages, aussi, et la relation qu’ils entretiennent avec le monde qui les entoure, qui respectent la nature, et s’abandonnent à elle, même quand elle se montre hostile. Hushpuppy vit dans les bois avec son père, et comme elle a l’imagination fertile des enfants, elle essaye de parler aux bêtes, aux arbres, d’écouter la terre. Elle imagine le retour des aurochs, les bêtes préhistoriques prises dans les glaces, ces glaces qui fondent à présent. Elle se jette à l’eau, traverse un bras de mer devenu immense, pour tenter de retrouver sa mère, sur un bateau-restaurant-maison de passes, à l’autre bout de la baie.

« L’homme peut vivre en harmonie avec les éléments, même hostiles ; à l’écart de la civilisation. » c’est manifestement tout le message de Benh Zeitlin. Tout cela est bien joli, sauf que, en dépit de la beauté, de la poésie, de tout en somme, contradiction flagrante : « Beasts of the southern Wild » est un film sur la fin du monde, je répète, la fin d’un monde, la disparition de l’univers ; et le cinéaste ne s’en est jamais caché l’idée de départ était celle d’un film sur l’apocalypse.
Et pourtant bien des critiques se sont enflammées, comme chez « Positif » et ont parlé de « d’un monde où tout s’emboîte parfaitement », « que ce film donne la notion de la cohérence du monde. Que ça fait monde. » ! Ces esprits, un peu emportés, on voulu voir le calme et la sérénité là où il aurait fallu voir le désordre, et la mort. Certes, « Les bêtes du sud sauvage » n’est en rien un pastiche de « 2012 » ; la fin du monde est ici une lente disparition, des adieux émus, emplis de regrets, à la mangrove qui s’éteint doucement, et c’est cette absence de violence qui a trompé la critique. L’univers à l’agonie ne cesse pour autant d’ouvrir ses bras à tous ses habitants, de veiller sur eux. Après que la mer ait envahi le bayou, Wink, Hushpuppy, et leurs compagnons d’infortune trouvent du poisson, parviennent à construire un radeau avec les ruines des habitations, puis vont provoquer la décrue, en dynamitant à coups d’alligator explosif, la digue qui protège les raffineries de pétrole. Chaque nouvelle aventure, chaque péripétie, qu’il s’agisse de traverser la mer à bord d’un vieux bateau crevettier, ou de s’évader d’un hôpital, est couronnée de succès. Mais toutes ces tentatives pour survivre et reconstruire « la Baignoire » se soldent par un échec : les poissons quittent la baie polluée par les déchets que les vagues charrient jour après jour ; le père s’en aperçoit : « cette eau est en train de nous tuer ! », et c’est alors l’épisode de l’attaque contre la digue. L’océan se retire, mais la terre est stérile désormais, rongée par le sel. Bêtes et plantes meurent, les unes après les autres. La vie peut être vraiment vache parfois : se débarrasser de toute cette flotte pour crever de soif ! (Mais ne vous inquiétez pas, à aucun moment les personnages ne souffrent du manque d’eau alors qu’ils ne vont jamais en chercher). Les autorités évacuent « la baignoire », mais Wink et Hushpuppy s’évadent bientôt avec leurs camarades, pour revenir où ? Vers ce désert de sel où ne réside plus que la mort ? Quand son père finit par disparaître, Hushpuppy n’a d’autres choix que de marcher, de courir, vers l’inconnu, vers un autre monde, qu’on devine inadapté : son monde a disparu, l’exil commence. A aucun moment, les personnages ne semblent vraiment renoncer à reconstruire leur monde, et ce monde semble les exhorter à rester, mais pourtant, toutes les occasions qu’il leurs fournit sonnent comme un dernier baroud d’honneur qui se termine sur la mort et l’exode.

Au-delà de tout ce qui a été dit, « Beasts of the southern wild », s’il constitue une belle réussite technique et esthétique, échoue sur le fond par le manque d’un message clair et intelligible. Si son réalisateur a regardé si attentivement Malick, il aurait dû voir que « The thin red line » et « The Tree of life » ne sont pas seulement le montage gratuit de belles images et d’une musique originale de maître : la symphonie visuelle se double à chaque fois d’un sens plus profond et d’un message ; l’absurdité de la violence et la souffrance commune qui en résulte pour les hommes et la Terre, l’interrogation sur la nature du bonheur, de l’amour filial, et de sa survivance face à l’épanouissement personnel ; message que l’on a le droit de trouver simplistes, rebattus à l’extrême je suis d’accords, mais qui existent en tout état de cause. Malick fait un film pour la forme, mais aussi pour le fond, chez lui l’un ne va pas sans l’autre.
Zeitlin n’a pas l’air de cet avis : bien qu’étant indéniablement ébahi devant la plastique du film, il n’a créé avant tout qu’une forme, et ni son remarquable talent technique, ni sa découverte d’une graine de grande actrice pour le rôle principal (Qvenzhané Wallis ravissante malgré la fausse maturité que lui donne le metteur en scène), n’ont pu insuffler aux « Bêtes du sud sauvage » le sens qui en aurait fait un premier chef-d’œuvre.
Pour le reste, on fera mieux…la prochaine fois.
Robert_Kaplan
6
Écrit par

Créée

le 5 janv. 2014

Critique lue 258 fois

Robert_Kaplan

Écrit par

Critique lue 258 fois

D'autres avis sur Les Bêtes du Sud sauvage

Les Bêtes du Sud sauvage
Kenshin
8

No crying

Excusez mes faiblesses, ce sont elle qui font qu'un film me touche. Non ce n'est pas forcement sale. J'étais aller voir Tabou et derrière moi y'avait un groupe de gens qui avait l'air de trop en...

le 28 janv. 2013

45 j'aime

5

Les Bêtes du Sud sauvage
Marvelll
9

« Once there was a Hushpuppy, and she lived with her daddy in the Bathtub. »

Film aux multiples récompenses (huit pour être précis dont notamment la Caméra d’Or à Cannes, le Grand Prix de Deauville, le Grand Prix du Jury de Sundance, le Prix Sutherland du meilleur premier...

le 20 nov. 2012

36 j'aime

1

Les Bêtes du Sud sauvage
MonsieurMit
4

Approchez approchez ! Le nouveau cirque Des bêtes du sud sauvage est arrivé en ville !

Approchez approchez ! Le nouveau cirque Des bêtes du sud sauvage est arrivé en ville ! Venez y vivre l'histoire fabuleuse et onirique d'une petite enfant noire trop mignonne dans le bayou ...

le 7 janv. 2013

33 j'aime

15

Du même critique

Taxi Driver
Robert_Kaplan
10

Un héro de notre temps.

En 1976, l’Amérique a connu coup sur coup, le Viet-Nam, l’assassina de Kennedy et de Martin Luther King, et le Watergate. Elle découvre soudain, qu’il ne suffit pas d’avoir une télévision pour...

le 5 janv. 2014

2 j'aime

Les Bêtes du Sud sauvage
Robert_Kaplan
6

Terrence Malick revu… et à corriger.

20 décembre 2012 Il sort enfin, le film qui aura peut-être fait le plus parler de lui ces derniers mois : dire que l’on attendait avec impatience la toute première réalisation de Benh Zeitlin relève...

le 5 janv. 2014