Odette danse, c'est comme ça qu'elle se révèle. Pourtant, lorsque nous la retrouvons au début du film, elle est bien loin des ballets classiques dont elle rêvait quand elle était môme. A présent danseuse hiphop et toxicomane à ses heures perdues, alternant entre jobs minables et tournées mondiales, sa vie est un fatras sans nom.
Et c'est là tout l'enjeu pour Odette : réussir à nommer ce qu'elle vit et ce qu'elle a vécu, parvenir à en parler, briser un silence pour atténuer sa souffrance. Car le sujet du film est un sujet difficile et difficile à traiter. Odette a été violée par le meilleur ami de sa famille lorsqu'elle était enfant; elle s'est subitement fait voler son innocence, sa jeunesse et sa vie dans l'indifférence la plus totale. Et à travers tous ses excès, ses dérapages et ses mauvais choix, c'est ce mal-être qui transparaît, ce décalage injuste et absurde entre la violence de ce qui lui est arrivé et le bonheur dans lequel elle baignait et que toute sa vie elle a cherché à retrouver sans jamais reconnaître qu'elle y avait droit, rejetant toutes les fautes sur elle, n'osant espérer être un jour à nouveau suffisamment digne pour mériter quelque chose ou quelqu'un.


C'est donc à cette montagne que le film décide de s'attaquer, ce problème de société que la société n'ose regarder en face. Il n'y a qu'à voir les réactions de certains spectateurs pour s'en convaincre. Mais le problème est bien réel, comme le rappelle le film à la toute fin avec cette statistique glaçante : un enfant sur cinq est victime de violence sexuelle (chiffre qui est néanmoins à prendre avec des pincettes tant les problèmes de définitions sont importants). Et force est de constater que le sujet est bien traité et offre un panorama assez complet des difficultés que les victimes doivent affronter pour s'en sortir, qui vont du dégoût de soi aux pressions sociales.
Autre point fort du film, sa simplicité. Les dialogues sont réalistes, le jeu des acteurs très juste, et sans jamais être dans l'excès. Cela rend le film et ses protagonistes attachants et émouvants, sans (presque) jamais sombrer dans le pathos gratuit.
Et les touches d'humour qui viennent ponctuer le récit achèvent de donner au film une impression de légèreté; on rit malgré la dureté et la noirceur du sujet; on rit à contrecœur.


Je regrette cependant que la fin du film ait été aussi longue. Même si tout n'est pas à jeter, elle n'ajoute pas grand chose au propos et à l'esthétique si ce n'est un sentimentalisme que j'ai personnellement trouvé un peu lourd. Enfin rien de très grave non plus.
Ce qui m'a davantage dérangé en revanche, c'est le peu de profondeur des personnages secondaires. Si aucun n'est superflu (le meilleur ami toujours prêt à aider, la mère incarnée par Christine Angot, ...), le film nous enferme trop à mon goût dans un manichéisme entre personnes sensibles et personnes indifférentes, là où j'aurais aimé voir et comprendre ce qui les amène à aborder la pédophilie de cette manière (notamment le personnage de la mère à vrai dire). Cela aurait permis une sensibilisation encore plus importante du public car à condamner trop rapidement certains personnages, on oublie que nous avons beaucoup plus de points communs avec eux qu'il n'y semble au premier abord, et nous pouvons passer à côté d'erreurs que nous pourrions tout à fait commettre sans même nous en rendre compte. En bref, en éloignant trop certains personnages du public, on éloigne par la même occasion les défauts qu'on aurait pu ériger en modèle à ne pas suivre.


Pour conclure, on a avec Les Chatouilles un bon film, bien réalisé, avec un beau casting, une histoire prenante et bien ciselée. Un film qui a le courage également de porter à l'écran un problème trop peu souvent abordé et de forcer le spectateur à le regarder en face.
Le film pâtit néanmoins pour moi d'une fin un peu longuette et de n'être pas allé suffisamment loin dans sa démarche de sensibilisation alors même que le plus dur était fait.

Lolo35
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le 4 oct. 2018

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Loïc Rfl

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