Adapter Les Chatouilles ou la danse de la colère était une gageure. Le spectacle, qui mêlait danse, musique, déconstruction temporelle, lieux multiples et nombreux personnages, le tout au service d'un sujet exceptionnellement grave (le récit autobiographique d'un parcours de vie traumatisé par des sévices pédophiles) et pourtant transpercé d'humour et de vitalité, présentait de nombreux défis, tous relevés haut la main par le tandem Bescond/Métayer.


Le film est la reconstitution d'un chaos. Celui, artistique, d'un one woman show d'une intensité, d'une profusion des genres et d'une incarnation exceptionnelles ; et celui, émotionnel, de la vie d'une femme ayant subi des outrages dévastateurs pour elle et ses proches et qui a trouvé la force surnaturelle de faire d'un cauchemar le plus beau geste de résilience qui soit.


Le mouvement est au cœur de ce long métrage, film épileptique et langoureux qui s'enroule autour de la gorge du spectateur et resserre progressivement son étreinte. Il y a le mouvement cinématographique (habilité du montage, astuces de doublures, jeux avec les décors, choix de mise en scène : la technique, étonnamment maîtrisée pour une première réalisation, s'emploie à relever le défi d'une adaptation ambitieuse et est au service de l'histoire et de l'émotion) et le mouvement des corps, qu'ils soient mortifères (insupportables scènes d'attouchements sexuels) ou chorégraphiés - comme sur les planches, chaque scène où Andréa Bescond danse, prenant physiquement le relais d'une émotion indicible, est bouleversante.


Le casting, très riche, voit une multitude de rôles plus ou moins secondaires incarnés par des acteurs absolument parfaits : Clovis Cornillac, si touchant en papa doux et conciliant (puis déchiré et déchirant lors de la poignante scène dans la voiture), Grégory Montel, si juste en mec tendre et dépassé par la tornade de violence, Gringe, impeccable en grand frère fun et vénèr, Eric Métayer, irrésistible le temps d'une scène bulle d'air, tous les autres qu'il serait trop long d'énumérer mais qui méritent autant d'éloges ; et évidemment Pierre Deladonchamps, glaçant en bête immonde dissimulée sous les traits de l'ami de la famille.
Quant à Karin Viard, qui a toujours affiché son goût pour les personnages peu aimables, elle trouve avec ce rôle de mère égocentrique incapable de la moindre empathie sa partition la plus extrême.


En janvier 2017, j'avais été bouleversé par le seul en scène d'Andréa Bescond. Son adaptation cinématographique miraculeuse, lumineuse, sur laquelle je parie une avalanche de récompenses aux prochains César, m'a davantage encore retourné le cœur. Et son auteur-interprète, exemplaire dans son combat (qu'elle continue à mener, aujourd'hui pour les autres), stupéfiante d'engagement physique et émotionnel, mérite plus qu'ailleurs le terme d'héroïne.

AlexandreAgnes
9
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le 15 nov. 2018

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Alex

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