Cette impression qu'un film aimé passé inaperçu nous appartient un peu plus

Pour moi, découvrir un nouveau film d'Emmanuel Mouret est toujours un moment particulier. Il est peut-être mon réalisateur français préféré actuellement, même si j'ai été moins séduit par ces derniers titres, « Mademoiselle de Joncquières » restant toutefois une belle adaptation du « Jacques le Fataliste » de Diderot. Alors forcément, quand je le vois revenir à ses premiers amours à travers ce chassé-croisé sentimental semblant rappeler le merveilleux « Un baiser, s'il vous plaît », je suis irrémédiablement attiré, me demandant comment celui-ci va pouvoir se réinventer pour nous séduire. Et c'est vraiment sur la durée que j'ai été capable d'admirer son travail, sa suprême élégance, à quel point le réalisateur est pratiquement le seul en France à être capable de nous offrir de si beaux moments de cinéma.


Mouret se lance ainsi dans un récit beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, se plaisant à voyager entre présent et passé, parfois proche, parfois plus éloigné, dont la cohérence et l'harmonie devient évidente au fil des minutes, Tout finit par se rejoindre, avec une grâce rare et surtout de très nombreuses questions abordées, toujours avec une douceur, une délicatesse, une sensibilité sans égal, superbement accompagné par une musique classique en parfaite harmonie. Le cinéaste n'a pas toutes les réponses : il en a même assez peu. Par contre, la façon dont il aborde le sentiment amoureux, la frustration, la déception, la douleur, l'espoir (et le désespoir), l'attente, le temps qui passe, le fait qu'une histoire fonctionne ou pas selon l'instant, le contexte, est magnifique.


On sent que chaque scène, chaque dialogue est mûrement pensé, réfléchi, cherchant toujours à exprimer quelque chose nous touchant au plus profond de nous-mêmes. Il s'adresse aussi bien à notre intelligence qu'à notre cœur, notre vécu comme à ce qu'on aimerait avoir vécu, car même (surtout) lorsqu'il finit mal, connaître l'amour, le vrai, n'a aucun équivalent. Le cinéaste ne cherche pas à être réaliste : plusieurs moments ne le sont pas. Mais qu'importe : ce qui l'intéresse, c'est la vérité, une vérité humaine à laquelle il touche constamment et, à travers elle, l'universalité. On ne peut qu'admirer ce talent à mêler différentes histoires sans jamais se répéter, à présenter nombre de situations se faisant écho tout en gardant chacune leur propre identité, leur éclairage sur une relation dans un contexte précis.


Aucun jugement, aucune morale : juste des personnages écrits chacun avec énormément de soin, que l'on aimerait connaître, dont certains proprement bouleversants : je pense à celui de Louise, que Mouret a eu l'excellente idée de faire incarner par Émilie Dequenne qui, malgré des consignes de jeu manifestement particulières (j'y reviendrais), est déchirante de


sacrifice et de bonté,


la plus belle scène d'une œuvre n'en manquant pourtant pas. Après, s'il faut avoir une ou deux réserves, il y a donc l'interprétation, le réalisateur ayant visiblement demandé à ces acteurs une approche très sobre, très posée, probablement pour ne pas tomber dans le pathos ou le larmoyant. Je peux comprendre, mais je trouve que cela retire surtout un peu d'émotion, et si les femmes ne s'en tirent pas trop mal (Dequenne, évidemment, sans oublier Jenna Thiam (quelle femme!)), je suis moins convaincu côté masculin (passe encore Guillaume Gouix, plus de mal avec Vincent Macaigne et surtout Niels Schneider, me confirmant que même dans un film adoré, cet acteur reste un mystère pour moi).


Il faut également accepter une façon de parler n'existant pas en France voire dans le monde, où l'on prononce la négation, fait toutes les liaisons, ne dit jamais le moindre gros mot. Mais c'est toujours le cas chez ce réalisateur, que je vois souvent comme le dernier vrai romantique du septième art, un galant homme qui se serait trompé de siècle et serait devenu un grand écrivain au temps de l'amour courtois, ajoutant même à son charme me concernant... Je n'aurais pas forcément gardé la dernière scène : je trouvais l'impact de la précédente plus forte, même si je comprends très bien son intention. Qu'importe, ou presque : des histoires d'amour comme celle-ci, hors des modes, presque hors du temps sont une chance, mieux : un espoir. Celui de voir Emmanuel Mouret continuer à nous offrir de si belles émotions, imaginer des protagonistes que l'on oubliera jamais. Un mot, un seul : merci.

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le 27 sept. 2020

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Caine78

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