Les choses que les personnages disent, les choses que la caméra montre

Je n'ai pas pu résister à la tentation de revoir ce film sur grand écran une deuxième fois. Cela commence simplement. Daphné, enceinte de trois mois, accueille à la campagne Maxime, le cousin de son compagnon François, absent pour plusieurs jours (remplaçant au pied levé un collègue). Maxime et Daphné font connaissance, en se racontant leurs histoires d'amour. Leurs histoires de sentiments plutôt, précise Maxime, traducteur qui souhaiterait devenir romancier... Précisons d'emblée : ce cinéma n'est pas social, dans le sens où les personnages sont relativement à l'aise et peu inquiets pour leurs contingences matérielles, ce qui leur permet, comme dans l'univers de Woody Allen, d'approfondir leurs questionnements existentiels, et d'avoir suffisamment de marges pour envisager sereinement des bifurcations possibles. Enfin, "sereinement" n'est peut-être pas le terme. Comme chez Rohmer, les personnages commentent beaucoup ce qu'ils font, et ce qu'ils ressentent. Pour autant, ni le côté littéraire ni la construction très sophistiquée du récit ne plombent le film. Car il ne s'agit pas ici seulement des failles qui peuvent apparaître entre les choses qu'on dit et celles que l'on fait (titre d'une simplicité lumineuse, étonnant qu'il n'ait pas été déjà utilisé), mais aussi de l'écart entre ce que disent les mots, et ce que disent les images. C'est donc du cinéma plein et entier. La matière n'est pas entièrement nouvelle dans l'univers de Mouret, mais il trouve une grâce, une maturité qui lui donnent une amplitude peu commune. Finalement, ce n'est peut-être pas du cinéma social dans le sens où on l'entend usuellement, mais Mouret donne à ses personnages toute leur dimension d'êtres sociaux, c'est-à-dire qui s'accomplissent dans les différents liens qu'ils tissent ou défont les uns avec les autres, dans la façon dont ils se soucient les uns des autres.
Camélia Jordana aurait largement mérité le César de la meilleure actrice (même si le choix de Laure Calamy dans "Antoinette..." relevait presque également de l'évidence), tant la comédienne se fond, facile, fragile, dans l'univers de Mouret. Ses partenaires ne sont pas en reste, à commencer bien sûr par Niels Schneider, mais aussi par un Vincent Macaigne qui sort un peu de sa zone de confort (ou d'inconfort). Louise, l'ex-femme de François, interprétée par Emilie Dequenne, est un personnage qui apparaît assez tard dans le récit, mais on ne l'oubliera pas de sitôt... Le cinéaste a aussi eu l'audace tranquille de ne pas faire appel à une bande originale, et de puiser dans des standards du répertoire classique. Cela aurait pu faire prétentieux, mais cela passe au contraire comme une lettre (amoureuse ou non) à la Poste...

cinelolo

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