Il existe un très beau paradoxe devant le dernier film de Mouret : alors qu’on l’avait laissé de côté depuis des années (involontairement ou non, simplement le temps passe et d’autres films...), alors qu’il s’agit peut-être d’une de ses meilleures œuvres (on y retrouve tous ses marqueurs : récits enchâssés jusqu’à plus soif, introspection et théâtralité amoureuses), son cinéma n’a jamais semblé aussi suranné. Pire même : aussi inutile.


La faute au contexte sanitaire évidemment (comment prendre véritablement au sérieux un film pour qui la plus grande tragédie existentielle se résume à taire un amour), mais pas que. Le film assumant complètement de se passer en vase clos, dans de belles maisons de campagnes très bien meublées, ses personnages étant tous des CSP+ irréels, se promenant en forêt un livre à la main, discutant de leurs propres atermoiements amoureux comme si le monde leur était égal. D’un point de vue socio-politique, il y aurait beaucoup à analyser dans le film. Mais quand bien même, ce ne serait pas une raison valable pour le disqualifier.


Non, ce qui achève de le condamner, ce serait peut-être sa scène finale d’une indécence et d’un ridicule insensés. Le film étant baigné par de la "grande musique" (Debussy, Chopin, Mozart : il n’en faut pas moins pour accompagner ce casting – très réussi, au demeurant, sauf peut-être Niels Schneider, qui ne paraît pas à l’aise dans ce rôle de romantique fébrile – de gens très beaux et très intelligents avec un fort capital culturel), Mouret met le paquet sur la dernière scène déchirante.


La tragédie de voir partir un amant amoureux sans lui avoir dit qu’au fond on s’aimait vraiment…


Et les violons montent, montent, et à cet instant précis on repense à cette année folle de pandémie mondiale, de maladie, de confusion généralisée, de remise en cause systémique profonde : voici le climax émotionnel que nous propose le cinéma français à cet instant T. Rester à ce point imperméable aux tensions d’un pays (avant le covid : les gilets jaunes, les violences policières etc), n’est-ce pas in fine intolérable passé un certain point ? Ne peut-il y avoir d’autre récits à célébrer ?


Enfin, malgré tout, il s'agit peut-être du meilleur film de Mouret. Voilà...

Pepito-Bleu
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le 28 févr. 2021

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