Les Contes de Terremer
6.2
Les Contes de Terremer

Long-métrage d'animation de Gorō Miyazaki (2006)

Pour cette critique, qui mentionnera des événements du film, je vais tenter de faire abstraction du fait que le réalisateur soit le fils du grand maitre Hayao Miyazaki, la comparaison avec les œuvres de son géniteur n'étant sans doute pas pour rien dans la volée de bois vert que se prend ce film tant auprès des spectateurs que de la critique. Ce n'est pas la faute de ce garçon s'il se fait piston... je veux dire, si son père est un génie.
Le film en lui-même est bien loin de l'horreur annoncée. Il n'est ni incohérent, ni creux, ni ennuyeux. Il est même plutôt intelligent, profond et distrayant ( oui, mon dictionnaire des antonymes est ouvert sous ma table ). Mais il est également maladroit dans son exécution et son propos, et laisse beaucoup des sujets intéressants non-développés.
En gros, on pourrait diviser le film en deux parties : l'originale et l'attendue. L'une essaie d'innover, de creuser et ses personnages et son univers, l'autre s'efforce de rester coller aux codes établis d'un genre et d'une histoire. J'ai besoin de préciser laquelle des deux encombre l'autre ? Il est toutefois intéressant de constater que malgré les fautes de goût détaillées ci-dessous, c'est dans son effort d'adaptation et de renouvellement que Goro marque des points, plutôt que quand il essaie de coller au style d'autres personnes.

A partir de là, ça spoile, vous voilà prévenu. A moins que vous ne sachiez pas lire. Mais dans ce cas, les risques sont plutôt minimes pour vous.

Le début du film mettrait plutôt l'eau à la bouche, à vrai dire. Pays maudit, dragons, royaume en décadence, harmonie homme/nature détruite, dimension politique, cadre familial à la Hamlet... Tout ça plante un décor alléchant. Qui nous est d'emblée ôté par l'assassinat du roi par son fils, qui lui vole son épée et s'enfuit sans s'expliquer ou s'essuyer les mains. C'est rapide et un peu court jeune homme, mais admettons. Le drame est enclenché, c'est déjà ça.
Dans une contrée qu'on devine voisine, on retrouve notre prince en exil, apparemment calmé, en fâcheuse posture. Il est sauvé par le fils caché de Gandalf et Dumbledore, Épervier. Ledit Épervier est un mage de haut-rang qui s'intéresse de près aux récents troubles mystique foutant le boxon dans ce monde. Il se prend d'amitié pour le jeune garçon et l'emmène avec lui en ville.
On arrive alors dans le coeur du potentiel de l'histoire, qui nous permet de faire un bref topo : tout d'abord, les décors et le design de la cité sont excellents. Mélangeant cadre méditerranéen avec les habituelles étendues herbeuses de son paternel ( dont je ne devais d'ailleurs pas parler, hem ), le monde présenté est beau, personnel et immersif. Quand à la civilisation Byzantino-Tolmèque ( rhaaa ) qui semble prospérer sur ces terres, on peut lui reconnaître une originalité certaine. A cela s'ajoute de sombres histoires de drogues, de magie en déclin et de négriers. Il est regrettable qu'aucun de ces points n'aura un traitement suffisamment poussé par la suite. C'est là que l'histoire montre sa triste dualité, à l'image d'Arren, plus ou moins schizophrène. Il semblerait que ce soit à cause de sa peur de la mort, mais ce n'est jamais vraiment détaillé. Au moins sa personnalité non psychotique, si un peu molle du genou, permet une vague identification, notamment dans sa faiblesse mêlée à une volonté de bien faire.

Mais cet introduction à l'univers est fini, et après avoir sauvé une jeune fille des pattes d'esclavagistes comiquement méchants ( le genre à faire « mouhahaha » toutes les deux phrases ) et s'être lui même fait capturer, notre jeune homme est récupéré par Épervier qui le mène chez une amie à lui, la gironde Thenar et sa protégé Therru, la fille qu'Arren a secouru précédemment. Faut pas leur en vouloir si elles ont acheté leurs prénoms le jour des soldes. C'est l'occasion pour un peu de sagesse bon marché : la terre, c'est bien. Travailler la terre en honnête homme avec une communauté de bon aloi, c'est bien. C'est sans doute simpliste, mais ça fait toujours plaisir. Et ça permet d'introduire la scène la plus lyrique du film, la chanson de Therru, sur fond de beaux paysages.
Et attention, maintenant, on passe dans la partie plus convenue du film, en ayant un aperçu du château bizarrement européen du méchant Aranéide ( mais à quoi pensaient ses parents ?! ), qui se fait faire un rapport par ses incompétents de sbires. J'ai peut être l'esprit mal-placé, mais un méchant androgyne dans une forteresse maléfique qui punit ses serviteurs idiots pour ne pas avoir été assez intelligents pour accomplir leur mission, ça me fait directement penser à un autre long-métrage d'animation. Encore heureux que sbire-en-chef ne lui dise pas avoir fouillé tout les berceaux.

Et à partir de là, ça tombe hélas dans de l'assez banal gentils contre méchants, tel qu'on aurait pu en voir dans plein de disney auparavant. Plus aucune suite à toutes les pistes de scénario ouvertes par le passage en ville, de l'esthétique qui devient plutôt commune... Ce n'est qu'à l'affrontement final qu'on retrouvera une certaine inspiration de la part de l'auteur, qui nous fait soudain basculer le sorcier maléfique dans une folie pitoyable et horrible, et nous place de vieilles valeurs à la Miyazaki ( heureusement que j'ai dit que je n'en parlerai pas, tiens ), sur le renoncement à la vie et l'acceptation du cycle naturel. Après une séance avec un dragon qui a dû faire se sentir très supérieurs ceux qui ont lu le bouquin, Arren accepte enfin sa part d'ombre et retourne dans son pays assumer ses actes. Et probablement se faire décapiter, évidemment. Je me demande si le réalisateur s'en est rendu compte, de ça.

Au final, que penser de ce film ? Il est truffé d'autant de défauts que de qualités, empreints d'une vraie maladresse bien-intentionnée, voulant parler de tout et sacrifiant un bon tiers du film à ne parler de pas grand chose, délaissant et les détails triviaux et la dimension épique qui auraient pu donner une toute autre envergure à l'oeuvre. Cependant, l'habileté dans l'expression du message, les personnages sympathiques et la mise en place du monde où se déroule les événements aide à garder l'ensemble hors de l'eau, élevant l'histoire à des hauts qui réussiraient presque à faire oublier ses bas. Peut-être qu'un second volet permettrait à Goro Miyazaki de traiter les sujets abordés plus en profondeur et d'acquérir une véritable maîtrise de cet univers et de ses composants, assez pour en faire sortir une histoire digne de ce nom.
Kevan
6
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le 3 mai 2014

Critique lue 545 fois

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Kevan

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