Loin du road movie en abîme de Benoît Mariage qui remua l’affaire Michel Strée, la version plurielle des garçons vachers s’inscrit dans le sillon du cinéma français renouvelé. Lequel veut ronger, armé de personnages authentiques, les grandes thématiques actuelles. A Cannes, Deephan, de Jacques Audiard, inspire déjà à la presse l’expression de « délocalisation » du septième art vers d’autres horizons. Quelques mois après, le co-scénariste de cette palme d’or, Thomas Bidegain, confirme la tendance avec Les Cowboys.
L’ambitieuse fresque narre la quête inlassable d’un père pour retrouver sa fille. La fugueuse s’est éclipsée, en plein festival country dont elle ne pouvait sûrement plus piffer le folklore. Apparaît qu’elle suit son copain, Ahmed, lui aussi introuvable. Qu’à la place de calligraphier de belles boucles, l’ado Kelly s’applique sur l’écriture arabe. Coup de sang, en un tour, et peu de pistes. Il faut traquer les rumeurs, graisser la patte déjà bien huilée des fameux passeurs pour quelques bribes d’on-dit. Et cette question de l’inspecteur du ministère, qui transperce le père et sa dame : « Vous l’avez déjà emmenée dans des pays du Maghreb ? ».
Fort d’ellipses audacieuses, le montage élude le temps qui passe pour mieux le figurer. Le petit frère de Kelly a grandi. Le voilà aux commandes de la bagnole qui écume les ports, des années encore après la fuite, à la recherche d’indices. La même photo écornée que son père, avachi à la place du mort, brandit aux migrants dont, à force, il comprend la langue. Le chagrin fardé en colère, ce François Damiens convainc. On décèle une belle ambivalence dans son jeu. Il paraît à la fois acculé et prêt à déraciner des montagnes. Ses cernes à l’allure de pendeloque, il les charrie tel Sisyphe.
Bidegain offre la détériorante détermination sur un piédestal. Les Cowboys est calibré au millimètre pour les Césars, de la date de sortie aux plans prêt-à-contempler. Bien fichus, les zooms intimistes, les jeux d’ombres habiles habillent le récit d’une esthétique gros-sabots efficace. Pourquoi pas ? On ne peut pas lever tous ses collets, et certains émeuvent par sobriété. Saluons une pudeur bien sentie sur la question religieuse : les raisons du départ de l’adolescente restent floues.
Puis, le drame dans le drame. Avec une maladresse spectaculaire, Bidegain reconfigure l’ampleur de son histoire familiale pour y catapulter les attentats. Hop, on ancre dans le réel un récit jusque là intelligemment universel. Voilà la faraude imagerie des attentats qui déboule. World Trade Center, puis Madrid, discrètement. Arrive Londres un an plus tard, et tout déborde. « Faut que j’y parte, ma sœur s’y trouve forcément », fait vociférer Bidegain, noir sur blanc, à son héros. Pardon ? En quoi la frangine, exilée au Pakistan, aurait-elle un rapport avec les terroristes ? Rien n’indique qu’elle s’est radicalisée, surtout pas ses mots doux épistolaires. L’amalgame baveux dégage une fragrance nauséabonde. Pas la moindre trace, dans le propos, de distanciation vis-à-vis de ce raccourci fangeux.
Pire encore, il devient l’avatar de la com’ du film, affublée d’une odieuse récupération médiatique. « Les Cowboys a un lien avec l’actualité malgré lui », serine-t-ils. Hein ? Vous bâtissez une fresque sur la fugue par amour puis la reliez à une emphase éphémère. « Je comprends ce que ressentent les parents dont les enfants rejoignent ces groupes extrémistes », minaude Damiens à RTL-TVI. Comment ? Le film n’évoque jamais le djihad, pas même indirectement. Au placard, la mansuétude hypocrite. Ce bataclan travesti en hommage façonne du marketing avec les cendres des tueries parisiennes. Cette promo boiteuse disqualifie toute la cohérence des Cowboys. Clairvoyant dans sa première heure, le long-métrage s’achève d’une balle dans le pied-tendre. Celui qu’on lui flanque dans l’arrière-train, pour sûr, n’en devient que plus robuste.