C'est l'Allemagne qui va intéresser Luchino Visconti à la fin des années 1960, signant à la suite trois films évoquant l'histoire de ce pays entre la moitié du XIXème siècle et la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec Ludwig, Mort à Venise et donc Les Damnés, qui sera le premier à sortir.


Il met ici en scène une chronique évoquant une puissante famille allemande d'industriels (sans doute inspirée des véritables Krupp) dont l'accession des nazis à la tête du pays signera pour eux l'ascension, la folie et la chute. S'ouvrant le soir de l'incendie du Reichstag, le film prend son temps pour bien étudier la lente chute des personnages, ainsi que la situation politique du pays et de l'entreprise, les liens avec le parti d'Hitler ou encore toutes les pressions, plus ou moins mortelles, qui vont s'exercer autour d'eux. Les Damnés bénéficie d'un script de qualité, tant dans les protagonistes que l'évolution du récit, chaque péripétie étant en plus bien amenée, et permettant de nous imprégner peu à peu de cette ambiance morbide, ambiguë et paranoïaque.


Luchino Visconti met en place une dramaturgie forte, avec l'impression d'une influence shakespearienne, et sa mise en scène est à la fois classieuse, subtile et capable de mettre en avant de véritables horreurs, tant dans les mœurs de cette famille, que ce qui va se passer autour. L'oeuvre est d'une rare richesse et ambiguïté, captivante de bout en bout et sachant nous montrer l'avènement d'Hitler et la fascination du pouvoir par le prisme direct de ceux qui vont le côtoyer, sublimant ainsi le contexte historique et la décadence d'une société rongée par le nazisme.


La reconstitution est remarquable, Visconti nous envoyant au cœur de cette période trouble, et sa réalisation baroque sublime les costumes et décors. De nombreuses séquences sont mémorables, principalement celles où ressort le plus l'aspect cauchemardesque de l'atmosphère, lorsque la tension est à son comble et que les personnages sont face à leur destin, et celui d'une nation gangrenée par de nombreux maux. Enfin, la bande-originale colle parfaitement aux images, tandis que les comédiens sont tout simplement remarquables, et bien souvent à la fois effrayants et fragiles, tant Helmut Berger que Dirk Bogarde ou Ingrid Thulin.


En signant Les Damnés, Luchino Visconti propose une oeuvre effrayante et d'une rare puissance, cauchemardesque par son ampleur et les tableaux humains, ainsi que sa portée historique, tant on insiste à la chute, décadence et folie d'une famille à travers un pays gangrené par le nazisme, la peur et l'attrait du pouvoir.

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le 28 déc. 2018

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Docteur_Jivago

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