Je suis un profond amoureux du cinéma de Visconti, un art de mise en scène virtuose et d'élégance esthétique, un ensemble de références culturelles parfaitement homogène à chacun de ses films, et un rythme qui s'épand avec une harmonie peu commune chez les autres réalisateurs italiens de sa renommée (on aura beau dire, les Fellinis regorgent d'idées mais souffrent de longueur qui en essoufflent le rythme...). J'attendais ces Damnés de pieds ferme, et je fus légèrement déçu. Les Damnés est un grand film, on s'en rend compte dès le fabuleux générique dans les aciéries. Les Damnés brasse des thèmes grandioses et s'inspire de monstres de littérature (Shakespeare) et de musique (Gustaf Malher), bénéficie de décors magnifiques et d'une structure des plus efficace (qui n'est pas sans rappeler celle du Parrain, qui sortira 3 ans plus tard). Sans oublier les costumes du perfectionniste Piero Torsi. Mais voilà, il y a des choses gênantes. J'ai dit que la structure me rappelait celle du Parrain, mais les personnages sont loin d'en avoir la force. Les acteurs sont pourtant tous excellent, particulièrement Helmut Berger, qui nous livrera sa réelle partition magistrale de sa vie dans Ludwig, mais Visconti se contente de filmer, encore et encore, leurs visages dépouillés de paroles, ou réduits à quelques dialogues peu communicatifs et trop embourbés dans un pathos aristocratique. Si l'on avait, encore, la même maestria que pour le Guépard ou Ludwig, pour moi son meilleur film, je ne dirai pas non, et les Damnés ne glisseraient pas lentement sur la pente des films oubliés de son auteur, mais voilà, le monsieur abuse de zooms et de mouvements de caméras par forcément réfléchis, peu naturel, et qui ne parviennent pas à saisir ces petits gestes et regard qui rendent son cinéma si vivant, si proche de l'écran et si romantique. Les tics du cinéma italien des années 70 sont bien là, et tendent trop à enchaîner le film dans une certaine époque cinématographique. Ensuite, chose énervante, la musique de Maurice Jarre, un pompage pur et simple de son propre Docteur Jivago, mais alors pourquoi ? Faudrait qu'on m'explique, personnellement j'eus préféré que Visconti use de Gustaf Malher comme il le prévoyait, les mélodies de Jarre accentuant le côté mélo d'une œuvre noire qui aurait mérité davantage de sauvagerie. Refaire Macbeth en mode guimauve, non merci. Heureusement, on en est loin, mais nous n'atteignons pas pour autant le Nirvana espéré.