# Critique écrite à deux avec @MarcelChampion dans le cadre de la rétrospective Jacques Demy à la cinémathèque française. Ce texte est rattaché aux demoiselles de Rochefort du fait qu'il est le film le plus débattu du tout. NB : N. correspond au professeur nous ayant commandé la critique. #

Lundi 15 avril :
Peau d'âne (http://www.senscritique.com/film/Peau_d_ane/419404) ouvre la deuxième semaine de la rétrospective consacrée à Jacques Demy. S'y rendre en guise de baptême a probablement été le meilleur choix possible. L'imaginaire débordant d'un cinéaste resté enfant se découvre comme étant le moteur d'une mise en scène alliant trucages et plans magistraux. L'ombre de Georges Mélies plane sur le film. De nombreuses pensées vont vers Le Voyage dans la Lune ou La conquête du Pôle qui ont su traiter, soixante ans plus tôt, de la même féérie dont était capable le cinéma et l'esprit humain.
Le film pousse à l’extrême cette pensée du cinéma comme l’artifice absolu en choisissant un conte comme décors de cette démonstration. Ainsi on s’éloigne le plus possible de ce que pourrait être le réel si souvent revendiqué du cinéma français pour un mode de vie fait de robes improbables, de décors vivants (les femmes bleues de la salle du trône) et de chansons passant par tous les sujets, de l’amour à la confection d’un gâteau en passant par l’inceste. Mais c'est le retour aux trucages grossiers qui parachève l'immense hommage que fait Jacques Demy à l'origine du cinéma. Tout est volontairement montré comme du pur artifice : apparition et disparition d'objet à l'image, filtre star omniprésent et retour rapide de l'image totalement délirant. Le cinéaste dépose de façon très légère son regard amusé sur le monde qu'il a créé. Comble de l'anti rationalisme, ce mariage final où le faux vient se déposer jusque dans le discours du conte lui-même avec cette arrivée en hélicoptère non dépourvue d'humour. Il va sans dire que l'on passe également un grand moment de spectacle pur et simple et c'est avec un nouveau regard amusé que je sors de ma première expérience.

Mardi 16 avril :
Déménagement de MarcelChampion au ** rue de C. T-Mac aide par ses talents de conducteur et ses gros bras. Quel homme, quand même, T-Mac. Rapide passage sur la place Jacques Demy dans le 14 ème arrondissement après un détour involontaire (quoique). Quelque chose se prépare. Puis on pense à N. Quelle femme, quand même, N.

Vendredi 19 avril :
Paf ! La voilà qui nous confie la mission de rendre un travail sur l'oeuvre de Jacques Demy dans son ensemble. Deux semaines pour arpenter les salles de la cinémathèque française et continuer, l'exploration. Au programme : quelques films et l'exposition présentée dans le même établissement.

Lundi 22 avril :
Après quelques minutes passées dans une conférence sur ce qu'il n'y a pas dans le cinéma de Jacques Demy, préférons attendre dehors pour nous concentrer sur ce qu'il y a dans Les demoiselles de Rochefort.
Visite de l'exposition ; 6 minutes chrono ; le temps de constater la tristesse d'un Monde sans l'oeil de la caméra (de qui qu'elle soit). L'échec de l'exposition est dûe à cette distance, c'est à dire perdre toute magie qu'un écran apporte. Voir la peau d'âne ou les robes des Demoiselles demeurer sur de vulgaires mannequins ça marche pas. Mais au fond, c'est quoi l'intérêt d'une expo de cinéma ? Un film n'est pas, de toute façon, quelque chose auquel on ne veut pas toucher, ne rien savoir ? Ne doit-il pas être pris tel que le cinéaste nous le donne, sans nous révéler les artifices et les processus de création ? Résultat : Une exposition à la cinémathèque a le même intérêt que les bonus d'un DVD : intéresser les non-passionés. Ne jetons pas la pierre à Jacques, il n'y est pour rien dans cette histoire.
Par contre, la niaiserie dans ses films, c'est bien lui. Et quelle plaie ! Le scénario des Demoiselles de Rochefort tient en deux lignes : des forains sortis tout droit d'un film pornographique des années 60 débarquent à Rochefort, découvrent tout plein de femmes et plein d'hommes en manque d'amour et qui nous le chante. Puis chacun se trouve son « ti bonheur » et tout le monde rentre chez soi. Sauf les forains, les pauvres. C'est leurs regards de pervers, ça fait flipper les petites midinettes de Rochefort. Ils auraient mieux fait d'aller à St Denis, ils se seraient plus marrer ; et puis nous aussi. Quoique, c'est vrai qu'on se marre bien devant ce nanar dégoulinant de couleurs pop-acidulées-machin. Il suffit de voir la tronche de Jacques Perrin en marin ou les forrains (vraiment, eux, trop forts!) et c'est la franche rigolade. Reste à écouter ce qu'ils se racontent -monologues de désespoirs mégacucu- et ça en devient gênant. Comme un souci d'être là, ouïe ouïe ouïe, le ridicule tue, quand même, un peu. -je l'ai cherchéééé partouuuuuuuut-
Le fan club dans la salle Langlois pourra crier houra autant qu'il veut ; d'une c'est plus distrayant mais c'est aussi révélateur de la place du cinéma de Demy aujourd'hui : des films à l'esthétique impec pour n'importe quel étudiant en première année aux Beaux-Arts, aux propos dont on rit si l'on veut mais qui restent malgré tout d'une pauvreté abyssale. Deux solutions possibles : soit Demy est totalement à côté de la plaque ; soit il se moque du monde (et du Cinéma (!!!)) ; mais dans les deux cas le problème est le même : voir un de ses films est un vrai calvaire, de quoi rendre un jeune amoureux plein d'envies, dépressif (et qu'est-ce que c'est looooong!). Le geste semble si peu honnête qu'il gêne franchement et l'arrogance du cinéma de Demy est là ; comme s'il moquait tous les genres (mélodrames, comédies musicales, romances etc.) magnifiques du cinéma américain qui l'ont précédé et probablement construit comme cinéaste. Un dernier exemple, un seul : il faut voir dans quelle situation délicate il met l'habituellement génial Gene Kelly : Dujardin dans OSS 117 est moins caricatural.

Le film confirme ce dont MarcelChampion n'est pas convaincu : Jacques Demy ne manque pas d'humour. Et cette esthétique bonbon tagada hyper fluo n'est qu'un élément de plus de l'idée qu'il a, ironiquement, de cette population qui ne cesse de broyer du noir. "Le monde va mal." Voila surement une des phrases qui revient le plus souvent dans le film. Pourtant c'est une ville constamment ensoleillée, remplie de gens qui passe leur journée à ne rien faire si ce n'est chanter et faire des blagues particulièrement vaseuses que nous montre Jacques Demy. La rare fois où le monde extérieur est évoqué, lors de la lecture d'un article de fait divers, c'est en chanson qu'il est raconté. Tout le film se construit sur le second degré jusque dans les personnages totalement déconnectés les uns des autres encore plus que du monde qui les entoure. De fait Jacques Demy imagine un endroit totalement improbable où l'on peut envoyer chercher n'importe qui chercher son enfant à l'école, inviter un tueur en série à sa table ou partir à l'aventure avec des forains sans risquer quoi que ce soit.
Le film, en dehors de son statut très symbolique et drôle de représentation d'Utopia, reste un concentré de bonne humeur et de joie de vivre qui sert de belle pause dans le pessimisme et la tristesse des films que l'on peut voir habituellement. Même si certains restent très beau, un peu de couleur fait du bien de temps en temps.

Jeudi 25 avril :
Vais à mon tour à l’exposition. Objets d’archives et babioles sans grand intérêt ornent les vitrines ; comme ce télégramme annonçant l’arrivée d’Anouk Aimé à Los Angeles qui m'a beaucoup fait réfléchir sur son utilité. Etant venu pour en apprendre un peu plus sur un cinéaste que je connaissait peu, je me déçoit de n'y voir qu'une série de produits dérivés futiles. J'y découvre cependant le grand talent de photographe d’Agnès Varda et quelques anecdotes intéressantes sur les symboles qui traverse le cinéma de Demy.

Samedi 27 avril :
La baie des anges (http://www.senscritique.com/film/La_baie_des_anges/432067) sera le troisième de la série. Film cette fois-ci beaucoup moins féérique que les précédents et traitant de la relation entre deux personnes qui se portent chance l'un l'autre au jeu.
Si la magie ne vient plus de l’image au sens strict, elle vient cependant de la mise en scène. Demy fait voler sa caméra avec brio dans des plans séquences tous plus magnifiques les uns que les autres. Les deux personnages incarnent deux mondes différents qui se rejoignent pour le plaisir très éphémère du jeu. Sont-ils complémentaires ou antagonistes ? Le cercle dans lequel ils s'engouffrent est-il vicieux ou vertueux ? Voilà la réelle question du film. Le fait qu'ils jouent uniquement à la roulette et pas au poker par exemple n'est bien entendu pas anodin.
Cette roulette tantôt acceptée par la caméra comme plateau d'argent peut servir dans le plan suivant à y déposer la tête de Saint Jean-Baptiste. Certes l'argent tombe quand la chance est avec eux, mais il disparait aussitôt sorti du bâtiment dans des caprices de l'instant totalement déraisonnable. La petite vie bovarienne de Jean était-elle donc la meilleure option des deux ? Pas sur non plus car chacun des deux laisse une part de lui-même en pénétrant dans l'univers de l'autre. Ainsi même si Jackie suit finalement Jean à Paris, elle se décompose littéralement dans les miroirs de l'arrière-plan ; de la même façon que Jean lorsqu'il entre pour la première fois dans le casino. Le même mouvement arrière se répète au début et à la fin, qu'il y ait qu'un seul ou deux personnages à l'écran. Ces travellings arrière très rapide gomment la présence du personnage à l'image au profit du décor.
Cette autre partie de la carrière du cinéaste, bien que très opposée à celle découverte plus tôt dans la semaine, reste d'un grande beauté et d'une poésie impressionnante.

Dimanche 28 avril :
Poursuite du week-end Jacques Demy avec cette fois-ci L’évènement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune (http://www.senscritique.com/film/L_Evenement_le_plus_important_depuis_que_l_homme_a_marche_su/385083). Film à la mise en scène finalement assez décevante après le film d’hier mais qui apporte une approche du fait divers très amusante et réfléchie.
Ce n'est pas tant la question de l'évolution humaine qui intéresse Demy que la façon dont nous percevrons et dont nous recevons les évènements sensationnels dans la société contemporaine. Ce n'est rien d'autre qu'un énième produit de consommation planétaire qui se jette aussi rapidement qu'un quotidien récupéré dans le métro avant d'aller travailler. Quotidien qui, dans le film, est littéralement balayé par la voirie de Paris comme un déchet encombrant le passage des eaux du caniveau. Le fait que tout le monde prennent la grossesse de Mastroianni comme quelque chose de normal et dans l'évolution du temps est également symptomatique de cette idée-là : l'extraordinaire s'encre dans la quotidienneté comme le téléphone portable s'est installé dans nos vies. Et il n'est pas surprenant de voir les grandes entreprises tirer profit au maximum de ce phénomène qui s'estompe aussi rapidement qu'il est arrivé, sans que cela ne bouleverse la vie même des principaux intéressés ; plus embêtés par les bruits de couloirs que par la vie particulièrement pénible dont ils ont été victime pendant 3 mois pour rien.

Lundi 29 avril :
Convaincu de continuer la série sur Une chambre en ville (http://www.senscritique.com/film/Une_chambre_en_ville/388837), c’est le groupe britannique « One Direction » qui me placera des bâtons dans les roues. En concert le soir même au palais omnisports de Bercy, ces prépuberts ont crée une réaction en chaine me privant de place de parking sur la totalité du quartier. Voyant l’A.S.V.P. prête à bondir pour faire le chiffre d’affaire de leur année, je remets à plus tard la projection du cinquième film de notre sujet. Comme un grand regret de ne pas pouvoir contredire mon partenaire.

21H ; tiens T-Mac pas là ? Me doutais bien qu'il avait une tendance groupie des bo goss de One Direction. Tant pis, j'irai seul, comme ça je pourrai partir quand je veux.
Sensation : En plus d'être toujours aussi risible, Demy laisse tout son côté toc, féerique, merveilleux au placard des années 60 pour encrer son histoire dans un contexte de fond de grève et de conflits sociaux (le père Richard Berry en bon ouvrier qui manifeste contre ses patrons mais qui en même temps est amoureux d'une aristocrate). Si les autres films avaient un côté comique que je n'ai apparemment pas vu ; celui-là c'est clair que non : couleurs maussades, thèmes tristounets, du mélo et encore du mélo. C'est à un tel niveau de pessimisme que ça en devient rare, le type en avait surement marre qu'on ne le prenne pas au sérieux et a voulu nous prouver qu'il y croyait pour de vrai à ses histoires. « Que moi je vais faire des vrais films bien tristes avec des sujets sérieux »... de quoi vraiment perdre espoir. Le petit plus : pas UN dialogue n'est parlé, apportant à chaque situation encore plus de consternante. Tout est chanté donc, c'est à dire chanter pour prévenir qu'on va acheter le pain, chanter pour manifester, chanter pour boire un café avec ses collègues de l'usine. En prime : les chanteurs sont tellement médiocres que la tête gonfle, comme l'effet d'un mauvais vin. Même pas moyen de dormir ! Non, vraiment, encore Lola et après Demy c'est fini pour moi.

Mardi 30 avril :
Dernière étape de notre travail et inauguration du cinéma de quartier « Le Champion ** » avec Lola (http://www.senscritique.com/film/Lola/369833). Film sorti deux ans plus tôt que la Baie des anges mais qui ne récoltera pas les mêmes éloges que ce dernier. On retrouve certes les prémices de sa mise en scène mais quelque chose du procédé se perd en route. Le sens du cadrage est déjà présent sans que cela ne nous raconte vraiment quelque chose. De belles séquences se suivent sans vraiment qu'un sens ne s'en dégage.
Les personnages peinent à être identifiable et même si le sujet a tout pour laisser à Demy une grande liberté sur les thèmes qu'il maitrise très bien, à savoir l'histoire d'amour cachant quelque chose de bien plus dense sur le monde moderne. En effet, personnage fainéant en mal de voyage qui rencontre un ancien amour a tout pour marcher, d'autant plus que la fin est très significative du cinéma de Demy au point de vue de la mise en scène. Cependant, le chemin qu'il emprunte pour nous raconter son histoire n'est pas encore tout à fait maitrisé.
Ravi d'avoir converti mon camarade à l'anti-Demy ; même si Lola est pour moi le moins pire : certes il n'y a rien, mais au moins c'est moins boursouflé et plus facile à digérer. Ainsi je n'en rajouterai pas, il n'y a de toute façon pas vraiment matière à.

Et ouf ! La rétro Jacques Demy c'est fini, et j'aurais presque envie de chanter ; comme un soulagement...
T-Mac
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le 5 mai 2013

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