« Si ce n'est pas grave il ne faut pas s'en faire, si c'est grave il n'y a rien à faire. »

Au hasard de mes errements cinéphiliques j'ai découvert ça. Une belle affiche, un synopsis un peu étrange et un titre accrocheur. Une superbe moyenne et très (trop) peu de notes. Un film sulfureux qui n'est pas très bien passé pour les autorités de son pays ou pour le Japon. De fait, Jiang Wen, le réalisateur a du quitter la Chine pour finir la post-production. Les autorités Chinoises n'ont pas exactement apprécié et ont voulu lui interdire de réaliser des films pendant 7 ans (1). Son film a été censuré quelques années en Chine et il a été violemment attaqué au Japon. Je n'étais pas prêt pour ce que j'allais voir. En même temps je me demande si quelqu'un pourrait être prêt à ça.


Les démons à ma porte c'est en quelques mots un grand récit picaresque qui laisse invariablement K.O. à sa fin. Le nord-est de la Chine au crépuscule de la guerre du Pacifique sert de décor. L'ensemble est à la fois plus drôle que n'importe quelle comédie (par contre l'humour est très noir et acerbe) et à la fois plus terrifiant que n'importe quel film d'horreur.


Pour cause le film du début à sa fin dresse un portrait horriblement drôle. Celui de l'humanité poussée à bout dans ses ultimes retranchements, tour à tour touchante, maladroite, tragique, drôle, faible, irrationnelle, désespéré, violente et monstrueuse. A mon avis c'est une expérience filmique unique à ce niveau. On aime, on aime pas mais impossible d'en ressortir indemne. Les personnages principaux Japonais comme Chinois ont beau être très imparfait, un peu méprisable, totalement désespéré et parfois même affreusement monstrueux, ils sont presque tous à un moment ou un autre touchant et sinon du moins on peut comprendre le pourquoi de leur monstruosité.


C'est un film dingue aussi par sa mise en scène, nerveuse, incroyablement alerte même sur de « simples » scènes comme une conversation à table, mais sans fioriture, sans artifice, sans jamais en faire trop, directe et sauvage comme un uppercut. C'est aussi ce qui participe à donner une certaine authenticité au film et à ses personnages. La construction narrative du film est impitoyable, l’ascenseur émotionnel est unique d'intensité et le montage est impeccable d’efficacité. L'ensemble se termine avec une fin détonnant par son caractère baroque sonnant presque comme un brutal soupir de soulagement. Autant symbole jusqu'au-boutiste d'une absence de justice que moyen d'arriver enfin à un apaisement, du moins de façade.


C'est un film pour lequel au delà de sa virtuosité j'ai une affection particulière. On peut sentir à quel point ce film tenait à cœur à Jiang Wen, à quel point il y a mis toutes ses tripes. On peut sentir cette urgence dans laquelle Les démons à ma porte a été fait et ce besoin d'enfoncer les deux pieds dans le plat pour dépasser toute forme de ligne rouge. C'est un film que j'apprécie énormément voir et revoir mais qui me hante et me hantera pendant encore longtemps.


Je dois dire que c'est difficile de parler de mon film préféré, (la preuve j'ai complétement refait cette critique) d'autant que c'est quelque chose qui est loin d'être immuable et qui peut changer avec le temps, au fil de mes découvertes. Finalement j'ai préféré faire relativement court plutôt que de m'étendre de manière trop indigeste sur pourquoi j'aime autant ce film par peur de trop manquer de pertinence dans cette petite bafouille. Ainsi Les démons à ma porte n'est pas forcément le plus grand des chefs-d’œuvres ou le film le plus parfait, mais c'est pour le moment le film qui me parle le plus... Jusqu'au jour où à force d'approfondissement de ma cinéphilie, j'en trouverais un encore plus dingue et maîtrisé qui me parle encore davantage... ou pas, qui sait ?


(1) Source développant la question complexe de la censure du film (bon par contre c'est en Anglais et ça divulgâche le film) : http://edition.cnn.com/ASIANOW/time/magazine/2000/0724/china.jiangwen.html

Noe_G

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