Les producteurs hollywoodiens sont un peu comme ces membres du conseil municipal d'Amity : avides de recettes et inconscients du danger. Le carton historique des Dents de la mer incitèrent ainsi très vite les décisionnaires de la Universal de mettre sur les rails une suite et ce même si la conclusion du chef d'oeuvre de Spielberg n'appelait aucune continuité. Ils en soumettent tout d'abord l'idée à Peter Benchley, l'auteur du roman original, qui ne voit alors aucun souci du moment que les producteurs alignent le blé. Il propose même une idée, prendre pour protagonistes les deux fils Brody devenus adultes, mais les producteurs de la Universal ne la retiennent pas (mais s'en souviendront pour les deux suites suivantes). Très vite, le scénariste Carl Gottlieb, déjà à l'oeuvre sur l'écriture du premier opus, se voit chargé d'écrire cette séquelle qui reprendra pour protagonistes le chef Brody et pour lieu les plages d'Amity. Le scénario validé, les producteurs se tourneront bien entendu vers Spielberg pour la réalisation. Hors de question pour ce dernier qui ne voit pas du tout la pertinence de cette suite et préfère de loin se consacrer à son chef d'oeuvre suivant, Rencontres du 3ème type. Déjà engagé sur le film de SF de Spielberg, Richard Dreyfuss décline l'offre de reprendre son rôle d'océanologue (il retrouvera son personnage trente ans plus tard dans le trashouille Piranha 3D). Roy Scheider lui, sous contrat avec la Universal pour deux films, est contraint d'accepter de rempiler dans cette suite et doit renoncer au rôle principal de Voyage au bout de l'enfer qui échouera finalement à Robert De Niro. Le film est aussi l'occasion de retrouver l'actrice Lorraine Garry dans le rôle d'Ellen Brody, plus développé ici sous la pression de son époux (et patron de la Universal) Sid Sheinberg. On retrouve aussi le regretté Murray Hamilton dans le rôle du maire d'Amity.
Bien entendu, John Williams se voit à nouveau chargé du score et recycle habilement le thème du premier film. Réalisateur de la seconde équipe sur le précédent opus, Joe Alves brigue le poste de réalisateur sur cette suite mais celui-ci échouera finalement au français Jeannot Swarc, solide réalisateur de séries B (Santa Claus, Quelque-part dans le temps), ayant déjà plusieurs fois croisé Spielberg dans les couloirs du département TV de Universal à l'époque où tous deux débutaient. Au grand dam d'Alves qui ronge son frein et hérite là encore du poste de réalisateur de seconde équipe. Il tiendra sa revanche cinq ans plus tard en héritant de la réalisation du désastreux Jaws 3D.


Jaws 2 sort finalement dans les salles durant en juin 1978 et se fait éreinter par la critique qui y dénonce une surenchère de violence et un scénario abracadabrant. Cela n'empêchera pas le film de marcher et de renflouer largement les comptes de la Universal qui, comme on le sait, n'hésitera pas à tirer à la ligne avec deux autres suites indigentes. Loin de rivaliser avec le génie visuel et l'inventivité de son prédécesseur, Jeannot Swarc n'en assure pas moins une réalisation efficace, en livrant ici plusieurs scènes chocs (le jump scare lors de la plongée sous-marine, la scène de l'explosion, le duel final "sous haute tension") et en faisant en sorte que son faux requin animatronique ne lui cause pas autant de soucis qu'en avait eu Spielberg. Comme l'avait fait ce dernier, Swarc ne révèle que progressivement son monstre vedette, en fragmentant tout d'abord ses apparitions avant de se lâcher dans la surenchère et d'aligner dans son dernier acte, les plans impressionnants du bestiau hideusement balafré (le plan du squale fonçant sur la jeune femme ayant secouru le petit Sean). Bien plus violente et sanglante que le premier opus, cette suite aligne les mises à morts les plus cruelles en prenant surtout pour cible le public teen de l'époque : la plupart des protagonistes/victimes du film étant une bande d'ados partis faire de la voile au large d'Amity, le requin se fera les dents sur cette jeunesse imprudente. En cela le film préfigure pour beaucoup le succès futur des slashers movies, sous-genre horrifique lancé deux mois plus tard par le cultissime Halloween de John Carpenter et qui avait pour particularité lui aussi d'aligner les mises à mort d'adolescents. On pourrait même faire un parallèle entre les deux sagas Jaws/Halloween, chacune débutant sur un authentique chef d'oeuvre, plus angoissant que vraiment horrifique, et se poursuivant dans des suites de plus en plus gores et ratées. En ultime clin d'oeil à la concurrence, Jeannot Swarc s'amusera à répondre à l'Orca de Michael Anderson, sorti quelques mois plus tôt, en faisant de la première victime du requin un pauvre épaulard échoué sur la plage au début du film. Quand on sait que les orques chassent parfois les grands blancs, et que ceux-ci les fuient comme la peste, l'ironie a de quoi faire sourire.


S'il est loin de rivaliser avec la qualité de son modèle, Jaws 2 n'en reste pas moins un bon film d'horreur. Porté par la réalisation inspirée de Jeannot Swarc, cet authentique survival en eaux troubles mérite toujours autant le coup d'oeil, ne serait-ce que pour son impressionnant bodycount, son requin encore plus vorace, et le plaisir de retrouver Roy Scheider dans le rôle qui l'a rendu célèbre. On pourra peut-être regretter que cette suite joue pleinement la carte de la surenchère en alignant les mises à morts les plus sanglantes, très loin de la subjectivité voulue par Spielberg dans son propre film. Jaws 2 n'en mérite pas moins d'être considérée comme la seule suite valable au premier opus, très loin de l'indigence de ses deux autres séquelles.
Sorti en décembre 1978 en France, son succès ne l'aura pas empêché d'être la risée des spectateurs à cause du problème posé par la traduction de son titre en français. En effet, les distributeurs français avaient cru bon en 1975 de traduire Jaws par Les Dents de la mer sans penser alors qu'en cas de suite, ils seraient bien emmerdés. D'où le "2ème partie"...

Buddy_Noone
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le 25 sept. 2020

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Buddy_Noone

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