Attention spoilers.


« Ah, s'ils pouvaient être tous comme lui dans la vraie vie… » Oui. C’est bel et bien ce que j’ai entendu à la sortie du film, dans la bouche d’une femme qui aurait pu être ma mère.


Ah, qu’il est gentil, Nas (Réda Kateb, Un prophète). Il vient de sortir de prison pour sûrement pas grand chose puisque c’était Nanterre et pas Guantanamo, et il a décidé de ne pas vivre sur le dos de la société comme tous ceux qui nous pompent nos impôts. Mieux que ça, même: il va offrir de belles soirées aux parisiens, et de façon totalement « réglo » en plus. Ce genre de soirées où il y a même des blancs et des noirs, tous mélangés, m'voyez? Et en plus il fait en sorte que tout se passe bien. C’est vraiment un bon arabe ce type-là, et il a des supers copains toujours prêts à l’aider, et même s’ils ont un peu les hormones qui les chatouillent (c’est normal, ils sont jeunes), ils disent bien « bonjour mademoiselle » comme maman leur a appris. Bon, c’est vrai qu’avec son frère Arezki (Slimane Dazi, Un prophète), Nas a un peu de mal, heureusement que la jeune et jolie, la blanche quoi, Margot (Mélanie Laurent, Je vais bien, ne t’en fais pas), est là pour concilier. Mais Arezki va quand même lui filer son bar, ce qui est plutôt cool; et puis de toute façon à la fin même si on s’est bien engueulé, on redevient ami comme avant, c’est ça la famille. En plus ils sont tous très amusants, qu’est-ce qu’on se marre quand ça sort un mot de la cité, ah c’est sûr que c’est pas juché sur son petit vélo le dimanche matin au marché des Chartrons qu’on entend l’accent maghrébin. Si seulement ça pouvait être comme ça chez eux, dans les quartiers qu’ils ont colonisés, là.


Mais malheureusement vous avez bien raison, madame. En vérité, point de « salut, frère » dans ces contrées arabiques. Aucune solidarité. On ne respecte pas vraiment les femmes, d’ailleurs. Non, c’est marche ou crève. La preuve, le personnage principal mange son sandwich tout seul sur un banc le midi entre deux rendez-vous, sans copains. Et l’autre Lucrèce essaie de le rouler, alors qu’il a tant traversé, le pauvre, il l’a coulé avec un contrat de vente dans son dos parce qu’il a plus de parts que lui dans la boîte et il a même appelé une avocate verreuse et un huissier et… Attendez? Ne suis-je pas en train de faire une peinture de notre petite société française? De celle qui impose la loi du plus fort? De celle qui a renoncé à l’altruisme et à la solidarité? Ah, mais si, en fait. Oups.


Les Derniers Parisiens est pour moi une petite perle, peut-être pas assez aboutie pour décrocher moult récompenses au festival de Cannes, mais assez pour avoir mon humble coup de coeur. Moi qui n’y connaît pas grand chose au cinéma, et qui me contente de suivre les films selon mon bon vouloir, j’ai pu voir et apprécier un réalisme exacerbé, sans jamais trop en faire. On reconnaîtra immédiatement Pigalle, sa diversité, son panache de visages tous différents, entrevus de jour dans un café ou à la supérette, en boîte ou dans un bar la nuit, des visages qui vous rappellent le mien ou le vôtre. La diction des acteurs, surtout, leurs paroles, leur naturel, font de leur texte des répliques spontanées, rendues belles par un soupçon d’humour, virant souvent au tragique. Réda Kateb s'impose avec brio par l'audace et la sincérité de son jeu d'acteur, crevant littéralement l'écran.


Mais les Derniers Parisiens est avant tout une histoire de fraternité, celle d’une société dans laquelle tout le monde se croise, s’ébranle. Parfois ça crie, parfois ça murmure, ça pleure aussi. La vie nous rattrape vite, que ce soit le temps d’un retour dans la famille, à travers un mot, une phrase, une vieille photo. Et dans ce film, elle nous dépasse, éblouis que nous sommes par la lumière et la photographie, car nous ne voyons rien venir de la chute de Nas. Le spectateur est en droit de ne pas aimer ce film tourné caméra embarquée, parce que parfois le découpage peut paraître trop brusque, pas le temps de parler plus en détail, la musique coupe et la soirée est finie alors qu’on a à peine commencé. Mais pourtant, c’est comme ça, la vie, et c’est vrai qu’on l’aime pas toujours, loin de là. La vie c’est ça, des choses simples, commenter un match de foot dans un bar en faisant des blagues de merde et râler parce qu’il n’y a plus de chips et d’olives, mais aussi des moments pitoyables aux relents de tragédie où l'on se jette la vaisselle à la gueule et on se balance les pires insultes, mais où l'on va toujours se pardonner parce qu’il y a des serments tacites et inviolables.


Je recommande ce film à tous ceux qui pensent que la gentrification est un bienfait de la société. Et à tous les autres.

Ellis
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le 4 mai 2017

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Ellis

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