À force de lire çà et là que John Ford considérait Les Deux Cavaliers comme « la pire merde que j'ai tourné en vingt ans », le visionnage dudit film s'imposait. Avec le pape du western aux manettes, son fidèle Franck Nugent au scénario et deux monstres sacrés du genre, James Stewart et Richard Widmark, de l'autre côté de la caméra, il paraissait peu probable que l'assertion fut fondée. Alors certes, ce film de commande, réalisé pour honorer la demande d'un ponte de la Columbia récemment décédé, est loin d'atteindre les sommets de la filmographie fordienne que sont, pour ne citer que les westerns parlants, La Chevauchée fantastique (1939), La Poursuite infernale (1946), Le Massacre de Fort Apache (1948), La Charge héroïque (1949), La Prisonnière du désert (1956) ou encore L'Homme qui tua Liberty Valance (1962), mais de là à prétendre qu'il s'agit d'une bouse... Tsss, franchement !


Avant tout, Les Deux Cavaliers est un curieux western qui oscille constamment entre comédie, drame, bluette et (un peu d') action. L'aspect humoristique repose essentiellement sur le duo formé par Guthrie McCabe (Stewart), shérif dont l'apparence débonnaire masque une personnalité vénale et égoïste, et Jim Gary (Widmark), lieutenant de l'armée yankee malin et droit dans ses bottes. Les discussions entre les deux protagonistes, dont une mémorable au bord de la rivière, assurent le ressort comique du film à grands coups de répliques bien senties sur les femmes, l'argent et l'alcool. Le personnage du sergent Posey, campé par Andy Devine, un habitué des seconds rôles chez Ford, assure de son côté quelques passages burlesques franchement moyens. L'aspect tragique quant à lui découle de la nature de la mission qui réunit l'officier fédéral et le militaire : pénétrer en territoire comanche pour négocier la restitution de Blancs faits prisonniers il y a maintes années. Mission périlleuse et dont il ne sortira rien de bon, comme McCabe en avertit d'un ton bourru les familles des disparus. Après tant d'années passées chez les Indiens, ces Blancs auront oublié leur propre langue, leur propre famille et jusqu'à leur propre nom...


Après quelques scènes montrant le vénal shérif extorquer tout ce qu'il peut aux familles (ignoble James Stewart, magnifique de cabotinage dans ce rôle à contre-emploi !), la mission est pourtant lancée. L'odyssée des deux cavaliers chez les Comanches constitue le passage le plus médiocre du film : après un bref marchandage avec le chef Quanah Parker, McCabe et Gary repartent, accompagnés d'un adolescent blanc et de l'épouse mexicaine du guerrier Stone Calf. Un combat épique entre ce dernier et nos héros nous attend, pense-t-on... Que nenni, McCabe règle l'affaire en deux secondes, abattant instantanément l'Indien - venu seul, étrangement - quand ce dernier sort de derrière un buisson au beau milieu de la nuit...


Après cette partie bâclée et, franchement, assez mauvaise, le film retrouve un second souffle dans son dernier tiers. Une fois revenus au fort, les ex-prisonniers deviennent l'objet du dégoût et du mépris des Blancs. L'un, même pas reconnu par sa propre famille, sera pendu sommairement après avoir tué la pauvre folle qui venait de l'adopter. L'autre, victime d'un racisme glaçant, demandera à être renvoyée chez les Comanches... Jusqu'à la scène quasi-finale du bal des officiers où, enfin redevenu sympathique, McCabe confrontera l'auditoire à sa veulerie dans une diatribe enflammée.


Sur un thème relativement similaire à celui de La Prisonnière du désert, John Ford signe ici un film un peu inégal, mais non dénué d'intérêt dans la réflexion, et de morceaux de bravoure dans la mise en scène, bien servi par l'interprétation impeccable de ses deux têtes d'affiche.

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le 13 sept. 2016

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The Maz

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