Un collège privé dans une ancienne gentilhommière délabrée qui fait internat. Michel Delassalle en est le directeur tyrannique. Ancien champion de tennis, il a épousé pour sa dot la directrice, Christina (Vera Clouzot), qu'il brutalise, tout comme l'autre professeure, Nicole (Signoret), son amante. Les deux professeurs hommes, serviles, savent mais ne disent rien, tout comme les enfants. Les deux femmes, contre toute attente, sont soudées contre leur tortionnaire. Elles mettent au point un plan compliqué. Lors d'un week end prolongé, Christina rejoint Nicole à Niort, et annonce par téléphone à Michel qu'elle va demander le divorce. Celui-ci vient en catastrophe. Christina lui fait boire de l'alcool mélangé de somnifère, puis Nicole noie le corps dans la baignoire. Elles le ramènent dans un coffre en osier et le plongent dans la piscine du château, s'attendant à ce qu'on le découvre rapidement. Christina, impressionnable et cardiaque, vit fort mal la situation. Elles trouvent un stratagème pour faire vider la piscine, mais le corps a mystérieusement disparu....


Peu après, Christina va à la morgue identifier un noyé retrouvé dans la Seine, attirant dans son sillage Fichet, un commissaire à la retraite (Vanel). Ce n'est pas le bon macchabée. Puis des signes inquiétants se multiplient : un commis d'une maison de nettoyage renvoie le costume Prince-de-Galles que portait Michel ; après enquête, cela mène à un garnis qu'il louait probablement pour voir des maîtresses ; Moinel, un gamin, dit avoir été puni par le directeur ; sur la photo de classe, son visage semble apparaître dans la vitre d'une fenêtre. Nicole, apeurée, disparaît. Enfin, un soir, très affectée, Christina entend du bruit et trouve dans l'ancien bureau de Michel sa machine à écrire, qu'elle a entendu taper peu avant. Dans la salle de bain, elle voit le cadavre de Michel sortir lentement en la regardant de ses yeux blancs... Elle meurt sur le coup.
Michel était bien vivant, car toute l'affaire était une mise en scène, avec pour complice Nicole, pour faire mourir Christina de son défaut du coeur. Heureusement le commissaire démasque les amants criminels. La dernière scène montre Moinel assurer qu'il a vu la directrice lui rendre sa fronde.


Je m'attendais à voir un récit de cruauté mentale, comme en est capable Clouzot. Mais la patte Boileau-Narcejac donne à ce film, dans sa dernière demi-heure, une aura de film fantastique, avec ce noir et blanc morbide qui a donné tant de perles dans le vieux cinéma français.


L'interprétation est bonne, mais j'émettrai juste un petit bémol pour Paul Meurisse, un acteur que j'aime beaucoup, mais un peu trop suave pour être crédible dans un rôle de brute égoïste. Sinon le casting est fort avisé, avec Noël Roquevert en locataire du dessus qui se demande ce qui se passe, des caméos en pagaille : Jean Lefebvre, Johnny Halliday jeune, Jacques Hilling (sosie de Xavier Bertrand), Robert Dalban. Le duo de femmes est fort bon, mais la palme revient indéniablement à Charles Vanel, qui fait en effet tout de suite penser à Colombo (l'air détaché, le cigare au coin de la bouche, et que je te raconte ma vie pour rien d'un air innocent...).


Film déroutant au début, avec ce crime dont on se dit à chaque instant que décidément, ces femmes ne sont pas douées. Le parti pris visuel est celui d'un réalisme cru, du moins au début, et un ton quasi documentaire lors de la visite à la morgue (presque trop étirée). Réalisme donc, sauf dans la dernière séquence avec Christina, qui est un hommage évident au gothic novel, avec des ombres distordues, l'ombre d'une main qui s'avance vers une poignée de porte, etc... A bien y regarder cependant, le réalisme peut sécréter du symbolisme. Je pense par exemple au plan de la camionnette des deux femmes qui disparaît lentement au loin, se fondant peu à peu dans cette petite rue de Niort, plan qui suggère leur chute, leur désarroi moral. Seul léger faux pas, à mon sens, la scène où Christina cauchemarde et est réveillée par le commissaire qui vient de s'allumer une cigarette : dramatisation savoureuse, mais ça jure un peu avec le parti pris général.


Encore une fois, on retrouve le sadisme et la vision très pessimiste de Clouzot. Les enfants, pour commencer, sont des petites brutes qui hurlent, dont l'énergie sauvage est presque miraculeusement canalisée par leurs professeurs. Michel Serrault joue un être d'une veulerie méprisable tout à fait confondante. Le moment le plus cru, c'est probablement quand le cardiologue venu examiner Christina repart en confiant au généraliste qu'il devrait la faire hospitaliser, mais qu'il n'aime pas montrer un corbillard devant sa clinique. Vraiment une vision sans concession de l'humanité, tellement outrée qu'elle semble par moment quelque peu affectée...


Il y a aussi un sous-texte sexuel assez gonflé pour les années 1950. Les deux femmes se comportent l'une envers l'autre quasiment comme des amantes, avec Nicole dans le rôle de la dominante. Le plan où Christina recule jusque dans un angle en criant "Non ! Non !" tandis que Michel avance vers elle d'un air menaçant a tous les aspects d'un roman sadien.


C'est un film qui met les nerfs à rude épreuve, avec un rythme étrange, déroutant, mais qui prend tout son sens dans sa dernière partie.

zardoz6704
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le 20 sept. 2015

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zardoz6704

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