Des (collectifs) comiques sillonnant l'internet, il y en a à foison, et parmi ceux tirant leur épingle du jeu, Suricate est en toute subjectivité l'un des meilleurs encore en activité ; il convient bien entendu d'adhérer à leur humour immensément créatif frisant parfois l'absurde, mais on pouvait déjà déceler dans leur court-métrage (sympathique) Le Fantôme de Merde un potentiel outrepassant de loin le simple cadre du sketch humoristique.
Aussi, après une longue absence, l'annonce de leur retour dans un format ni plus ni moins inédit (les concernant) ne pouvait que susciter l'intérêt des fans purs et durs, moi compris ; un intérêt double en l'espèce, Les Dissociés se posant comme un long-métrage précurseur en son genre, et ce au moyen d'un financement via le placement de produit et... un visionnage gratuit sur la chaîne de Golden Moustache, rien que ça.
Émancipé des contraintes attenantes à l'univers des studios et autres investisseurs ayant leur mot à dire, force est de constater que Raphaël Descraques, épaulé par ses fidèles comparses, réalise ici un tour de force (toute proportion gardée) redorant le blason de la comédie française ; si cette dernière tourne depuis longtemps en rond, entre absence criante de créativité scénaristique (ce qui vaut aussi pour le format) et contenu virant dramatiquement au beauf (pour ce qui est de toutes ces bouses populaires), Les Dissociés frappe un grand coup en délivrant un récit travaillé, un tant soit peu original et surtout pétrie de bonnes intentions.
Si l'on se penche sur le postulat de départ du film, à savoir l'échange de corps que l'on nommera plus simplement "swap", l'originalité n'est certes pas totale, mais celui-ci se l'approprie d'une bien belle manière au demeurant : de fait, l'intrigue qui en ressort est réfléchie comme inventive, la bande à Suricate nous plongeant dans un décor bien à eux, entre douce folie et variations plus sérieuses de ton.
La thématique du swap est donc ni plus ni moins usée à bon escient ici, car au service d'une trame maligne comme pas deux, point de départ d'un récit fourmillant de bonnes idées venant affirmer la singularité d'un tel projet ; Les Dissociés s'en sort aussi très bien concernant la gestion du chamboulement émotionnel (comme physique) inhérent à la découverte du swap, l'évolution des personnages étant en ce sens réussie.
Ceci induit donc une justesse de traitement palpable, certainement pas irréprochable, mais clairement recherchée, de quoi conférer au long-métrage une portée surprenante ; l'exploration du swap par le couple principal, osée mais tellement humaine, souligne la sincérité d'une telle démarche et atteste de nouveau de la profondeur (voulue du moins) de l'oeuvre.
En elle-même, l'intrigue captive avec efficience, mais tout n'est clairement pas parfait : certains protagonistes, surtout secondaires (les fantasques de service), ne brillent pas d'une utilité folle (support de situations faciles) ; quelques rebondissements laissent à désirer, sans compter ici et là des incohérences en partie imputable aux faibles moyens de production de l'équipe ; enfin, on dénote un fan-service très prononcé (le contraire eut été étonnant) prêtant bien souvent à sourire, mais dont la finalité n'aide pas vraiment au développement de l'intrigue.
De multiple ombres au tableau donc, mais qui n'entachent pas vraiment la qualité intrinsèque des
Dissociés, qui se paye d'autant plus le luxe d'arborer une alchimie des plus maîtrisées entre composante comique et ressorts semi-dramatique ; si l'on pouvait craindre un revers de la médaille concernant de tels pans d'atmosphère, le film ne bascule finalement jamais dans un extrême, et se fend même d'un crescendo des plus appréciables pour conclure sa fort plaisante aventure.
D'ailleurs, cette histoire d'âmes voltigeant d'un corps à l'autre se distingue énormément des précédentes productions Suricate, celle-ci n'étant pas vraiment typique du collectif (bien que marquée de leur patte, elle tient davantage de l'aboutissement sortant des sentiers battus) ; entre évolutions techniques comme scénaristiques, la prise de risque prise ici est indéniablement récompensée à la hauteur des efforts investis, Les Dissociés transpirant la volonté des auteurs de se faire plaisir, et par extension de nous faire plaisir.... et rien que pour ça, chapeau bas.
Le succès de leur entreprise tient aussi du fait d'un casting excellent dans son registre, d'autant que bien des surprises attendent au tournant : d'entre toutes, la prestation de la petite fille jouant Vincent Tirel force l'admiration (je vous jure, elle est douée la bougresse), et on peut par la même occasion saluer les performances de Raph' Descraques et Julien Josselin, convaincant même en se détachant (quelque peu) de leur étiquette comique ; pour finir sur ce point, mention spéciale concernant Quentin Bouissou, nullement ridicule dans son rôle de grand antagoniste (bien au contraire).
Enfin, certes non exempte de défauts visuels, la forme est des plus satisfaisantes, de quoi parachever la réussite du projet : entre une BO intéressante et une mise en scène pêchue comme très rythmée, la réal' s'en tire avec les honneurs, d'autant que le film est loin d'être disgracieux graphiquement.
Bref, Les Dissociés est un divertissement honnête, sympathique et pareil à une bouffée d'air frais en ces temps sombres... dieu que ça fait un bien fou ; révolutionnaire sans vraiment l'être, ce long-métrage parvient donc à faire date, à sa manière, en bousculant les codes d'une comédie française en décrépitude aujourd'hui, et là est son plus grand mérite.