L'idée d'associer Astérix à Hercule est déjà plutôt fine. Hercule, l'homme romain qui défia les dieux, bien malgré lui d'abord. Quand la jalouse Hera lui envoie ses vipères, Hercule bien qu'archaïque (car encore bébé) se défend, les tue et s'attire les foudres de la déesse comploteuse.


Le village gaulois, de même, bien qu'archaïque (car gaulois qui aime le poisson) ne fait que se défendre. Et de César qui se prend pour un dieu, se trouve obligé de pointer les limites par les menus détails que sont ces 12 épreuves originales. À coups de potions et d'astuces, les gaulois sont des hommes presque semi dieu qui le démontrent en dilettante, quand César à coups de mégalomanie reste le Jupiter un peu ringard en fin de règne, aux ambitions quasiment séniles qui radotent.


Là où Goscinny et Uderzo (et Pierre Tchernia, qui avait fait des choses avant d'échouer sur le plateau d'Arthur…) innovent génialement sur la mythologie romaine (qui elle-même pompe sur la mythologie grecque) c'est que l'homme à l'épreuve ne se confronte pas dans cet opus à un bestiaire fantastique. Au contraire, c'est presque toujours l'homme face à l'homme. Et une des épreuves les plus célèbres de ce dessin animé est la fameuse confrontation de nos deux héros perdus avec la masse des hommes perdus d'une administration. C'est la confrontation dans l'absurde des dieux celtes et des dieux bureaucrates. L'avatar bureaucrate est drôle dans son drame, quand l'avatar celte (dans les personnes d'Astérix et Obélix, champions de la guerre civile burlesque, par Toutatis!) est drôle par nature gauloise sauce Goscinny (l'humour gaulois dans cet opus n'en finit pas de tirer profit des mauvais choix romains, et de leur vanité).


((Il faudrait noter que la scène dont je parle, l'épreuve qui consiste à vaincre un système administratif incroyablement complexe, fait suite à une scène de tunnel extrêmement étrange, un peu effroyable, qui n'est pas sans rappeler la catabase d'Hercule lui-même...))


Au sein du bâtiment administratif, c'est du naturalisme fantastique, à la Kafka. Tout y est, tout est dit, tout est décortiqué, mais le mystère reste entier, tout est étrange et insurmontable (pour des hommes normaux en tout cas).


Nous avons l'attente, dans toutes ses déclinaisons. L'attente dont on connaît le terme, associé d'une date, ou d'une heure précise, comme on attend Noël par exemple, ou la fin de la pause repas du guichetier. Nous avons l'attente dont on le voit seulement, le terme, de nos yeux, sans vraiment le connaître, si près et pourtant si loin, comme au miliu d'une file d'attente. Et enfin l'attente dont nous ne pouvons déduire la durée, ni le terme qui va avec, si ce n'est en extrapolant à l'aveugle, et qui nous demande une attention toute particulière, de tout instant, pour ne pas rater notre coche : ce sont les commérages interminables d'une guichetière, équivalent Old School de l'astringente musique d'attente téléphonique. Il y a différents types d'attente, et le commérage de la guichetière (ou l'astringente musique téléphonique) en est probablement l'une des plus douloureuses, car on ne peut techniquement pas s'en écarter, bien qu'elle soit potentiellement éternelle (comme le chat de Schrödinger). Jamais temps ne fut plus absolument perdu, tellement que ça en serait douloureux si ce n'était un dessin animé...


Et quand bien même l'attente serait vaincue, comme Hercule découvrant le lion au terme d'une quasi odyssée, il faut faire face à l'arme fatale bureaucratique : le protocole roi. Celui que les hommes ont créé pour se simplifier la vie, mais qui se complexifiant avec la complexité du monde est devenu intelligent, dans le sens où il se nourrit seul maintenant, et n'a plus de maître. Il a même fait de l'homme son esclave hébété. Et/ou pantouflard.


Deux choses tout de même que j'aime au sein des bureaux quelconques de la vraie réalité véritable :


– Que l'on épelle mon nom avec le jeu de l'alphabet des noms propres :



« Je m'appelle Vernon - Ok, Ver...non... V comme Véronique ? - Oui. - E
comme Émilie ? - Oui. - R comme Roger ? - Oui. - N comme Nathalie ? -
Oui. - O comme Óscar ? - Oui. - Et N comme Nathalie ? - Ah non, comme
Nicolas celui-ci.



– Et le prix de la douleur. Ce concept est assez nouveau pour moi, mais paraît-il que si votre gosse, par exemple, se casse le bras en jouant, il est possible de monnayer auprès d'une compagnie d'assurances le tracas sensitif qu'il a enduré et que l'on appelle douleur (le bras cassé ainsi, selon ma source, pourrait rapporter dans la centaine d'euros... une nouvelle bonne raison ainsi dit d'inscrire son enfant au rugby... pour faire d'un menhir deux coups)

Vernon79
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le 6 mars 2018

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Vernon79

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