Dans Les enfants du temps, une jeune fille est capable d’invoquer le beau temps. Ce qui n’a pas l’air de troubler les Tokyoïtes plus que cela. Pour faire bonne mesure, on nous fait bien comprendre qu’ils n’y croient pas trop, que le seul journal a s’y intéresser est un tabloïd. Mais bon, ils font quand même appel à elle quand ils veulent s’assurer que le soleil sera de la fête, parce que c’est plus gai, enfin moins triste. Et puis quand il fait son apparition, ils ne sont pas plus bouleversés que ça dans leurs croyances, remercient la fille et la payent pour ses services. Très pragmatiques finalement.


Cette attitude pour le moins désinvolte face à un pouvoir clairement fantastique, c’est un peu celle de Makoto Shinkai. Finalement, cette histoire de pouvoir, cela ne lui semble pas si fantastique que ça. Comme les Tokyoïtes de son film, il reste pragmatique face à celui-ci, et sans la fin (j’y reviendrai), la mise en œuvre de cette capacité extraordinaire (au sens premier du terme) ne dépasserait pas le cadre de la petite boutique en ligne. On voit bien d’ailleurs que Hina, puisque c’est le nom de la jeune fille, n’est jamais inquiétée par de quelconques autorités à ce sujet. Dans l’esprit de Makoto Shinkai, le fantastique reste surnaturel, mais il est totalement acceptable.


La vraie magie pour lui c’est cette histoire d’amour entre deux adolescents paumés qui vont tomber l’un sur l’autre par hasard. Le personnage principal du film n’est pas Hina, mais Hodaka, un jeune fugueur débarqué à Tokyo. Pourquoi a-t-il fugué ? On ne sait pas trop, tout juste comprend-on qu’il nage en plein malaise existentiel. Et c’est au côté de Hina qu’il trouve finalement un sens à sa vie. Pas pour son pouvoir. Simplement pour elle. Je préfère d’ailleurs le titre anglais, Weathering with you, que je serais bien en peine de traduire mais dont le « with you » (« avec toi ») illustre bien le sujet du film.


Le style vignette de la narration, qui enchaîne quelques montages de séquences où l’on voit ces gamins travailler, s’amuser et vivre ensemble fait exister cette histoire d’amour de façon touchante. Saupoudré d’un humour typiquement japonais (à base de kawaii et de fortes poitrines), le film se distingue également par ses dessins magnifiques. Si vous ne l’avez pas vu, je pense que vous pouvez vous faire une idée du genre de film qu’est Les enfants du temps, et vous pouvez cesser la lecture.


Car à présent, j’aimerais évoquer un peu la fin. Arrive donc ce moment où l’on comprend que Hina va devoir se sacrifier pour ramener l’équilibre météorologique. Ce qu’elle fait, suite à des adieux émouvants avec Hodaka. Mais ce dénouement n’est pas du tout du goût de ce dernier (ni surtout du réalisateur Makoto Shinkai), qui décide(nt) finalement de sauver Hina et de laisser Tokyo sombrer dans le déluge.


Déluge qui est traité avec la même nonchalance que le pouvoir de la jeune fille : certes on nous fait bien comprendre que des pans entiers de la ville ont été engloutis, mais aucune mention de victimes. Tous les personnages croisés dans le film sont toujours présents, ils ont juste grimpé de quelques étages. On est bien loin du tsunami de 2004 ou de Fukushima.


Il se dégage de cette conclusion une vision animiste du monde, cette idée que la Terre se chargera d’elle-même de nettoyer la pollution humaine. J’ai vu passer quelques accusations en climato-scepticisme, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Ce que rejette Makoto Shinkai, c’est que Hina se sacrifie pour nos péchés. Si la Terre réagit à la pollution (vision animiste), ce n’est pas à elle d’en assumer les conséquences pour que ses congénères continuent à vivre comme ils l’ont toujours fait. C’est une vision très adolescente du monde, empreinte à la fois de naïveté et de colère.


Je pense que l’enjeu cruciale du film, c’est cette histoire d’amour entre Hina et Hodaka. Si l’on ne rentre pas dedans, si elle ne nous touche pas, alors je pense qu’il est plus difficile d’apprécier le film et sa fin (un peu comme il est difficile d’être transporté par Life Is Strange si on a du mal avec Chloé, pour ceux qui y ont joué). Si au contraire elle nous parle, alors je pense qu’on est au plus près de la vision du réalisateur, et le film prend toute sa grâce.

IanCher
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le 15 févr. 2020

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