Vous vous rappelez qu'à une époque globalement révolue, Arte était passée maitresse dans l’habitude de diffuser des films peu captivants où des personnages tout à fait lissent vivent des choses moins excitantes que vous ? c'était pompeusement de l'Art et cela a valu à la chaine la réputation d’être spécialisée dans les réalisations à l'instar de ce court métrage où un couple étale pendant dix minutes du beurre sur une tartine en caméra fixe. Il existe cette portion du cinéma du réel qui consisterait à filmer le quotidien de personnages taiseux dans un décor morne en comptant sur les perturbations de la vie pour faire la beauté de l’œuvre finale, il suffirait alors se laisser dériver en ne faisant que sélectionner des tranches de vie pour faire un film.


Or ce sont des films durs à faire puisqu'ils exigent des rôles forts, des acteurs toujours justes, une mise en scène ne laissant rien au détail et un rythme en béton armé.


Si la démarche est louable et remonte à l’origine du cinéma, le cinéma est une œuvre de fiction et n’a souvent pas les mêmes impératifs que la réalité morne et froide dans laquelle nous vivons tous, celle faite de boulots répétitifs, de quotidien maussade de taxe d’habitation et de contrôle technique. Aussi la retranscription d’un quotidien normal pour un quidam donné se heurte au manque d’intérêt qu’il peut susciter, aussi afin d’avoir quelque chose à raconter le réalisateur va être tenté de faire intervenir des personnages instables afin de provoquer un drama pour faire avancer l'histoire, au passage c’est un peu cynique mais c’est exactement la même démarche que l’on retrouve plein de reality-show où des personnes instables vont être enfermées dans une maison magnifique afin de les observer se plaindre toute la journée de problèmes insignifiants pour la majorité de la masse d’idiots spectateurs que nous sommes avilis par l’influence de gens aussi inspirants que mon tapis de toilettes.


Pour ce qui nous concerne, la vie réelle est composée d'une vaste majorité de personnes sans intérêt mais à partir du moment où le personnage central est moins vivant que tout ce qu'il a autour de lui, ça me donne l'étrange impression de ne pas suivre la bonne histoire. En tant que spectateurs nous sommes témoins de la scène qui se joue devant nous mais il semble que le réalisateur ait décidé de nous exclure de tout échange, en brisant tout enjeux ou à défaut tout empathie, comme si nous n’avions pas à être là. Il ne s’agit pas d’agir en témoin mais d’avoir toujours l'impression d’être arrivé en cours de route. On est un peu ce pote en soirée dans un coin de la pièce qui va envoyer des textos à sa copine en lui disant qu’on va essayer de s’en aller le plus tôt possible et qui va pas desserrer les dents de la soirée. Du coup quand une tension se transforme en conflit, ben tu t'en fiches un peu, comme ce couple qui se dispute dans les magasins pour savoir si oui ou non il faut acheter ce nouveau pot de fleur à poser sur le piano à côté de la bougie, de la photo encadrée et de la vieille lampe de chevet pendant que tu essayes de trouver l’étagère « blukeplank » en résine de pin complet. Baser un film sur des personnages un peu déviants posés là pour faire avancer l'histoire en la poussant du pied avant de s’éclipser sous les rideaux alors qu’elle pourrait rouler par elle-même ça ne marche pas, c’est de la fausse bonne idée.


En y pensant il me semble que ce type de cinéma qui se veut réaliste ne fonctionne réellement que dans une diégèse limitée, un environnement restreint où chaque personnage va avoir un rôle, multiplier les personnages me semble fonctionner beaucoup plus s'il s'agit de figuration plus que d'intervention.


Ce film, je n’en ai pas pensé grand-chose en réalité. En fait je me suis rendu compte que tous ces personnages annexes qui meublent l’histoire m’intéressaient plus que le personnage principal lui-même seul réel témoin actif de ce qu’il se passe agissant en élément perturbateur, le seul normal qui vient entrer dans la vie de gens qui auraient pu constituer un film à eux seuls et ses interventions m’auront toujours laissé perplexe : lui en pleine régression se rappelant à ses souvenirs, je me suis sentit comme lorsque mon voisin évoque ses dernières vacances « Tu sais Punta-Cana c’est comme Tégucigalpa mais en moins vert, j’adore l’Argentine », il aura beau évoquer avec des yeux brillants des références que je n’ai pas que j’aurai probablement davantage envie d’aller préparer mes pommes au four que de continuer à l’écouter parler de ses souvenirs.


Un jour en zappant à la télé, je suis tombé par accident sur la chaine locale parisienne IDF où Jacky du Club Dorothée animait une émission probablement la moins chère de toutes les chaines de télé confondues. Dans ce qui ressemblait à un hangar, l’ancien acteur à succès des années 90 se tenait debout derrière un pupitre en carton et devant deux étagères Conforama où étaient posés des écrans d’ordi éteints sur lesquels étaient scotchés des cartons roses découpés en phylactères criants avec marqué « Vu à la télé ! » au marqueur. A côté de lui un invité, un vieil homme frêle aux longs cheveux blancs, dans un blouson en sky noir à grand col, assis sur une chaise bar avec une jambe dans le plâtre, évoquait des souvenirs de jeunesse qui ne parleront pas à tout le monde, pas même à Jacky lui-même d’ailleurs :



  • Et là je vois mon beauf qui sort de la 106 en boitant comme un vieux qui me dit ‘m’enfin qu’est-ce que tu fous à te mettre devant la voiture j’ai dû rouler sur les rosiers de Janine !’ arrr arrr arrr arrr »


Bonne ambiance.

Crillus
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le 16 oct. 2021

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