" Ce n'est pas sur nos têtes qu'il faut mettre un voile mais sur vos yeux"

À partir d'un procès auquel il assisté et du constat que l'agression sexuelle n'a été reconnue par la loi égyptienne qu'en 2009, Mohamed Diab a écrit son premier film, chronique d'un combat, d'une bataille qui semble encore longue à gagner.

Le film joue d'abord sur un incessant retour, par des flashs back, à la première réaction agressive fondatrice, celle de Fayza. Les première 45 minutes ressemblent à un "jour sans fin" où trois destins de femmes blessées se croisent. Le film de Mohamed Diab va donc mêler les milieux sociaux, les réactions et les formes de vie afin de rendre encore plus vrai et plus fort son film. Et ça en devient magistral, magnifique, merveilleux.

La caméra est toujours en mouvement, instable, elle traque les moindres mouvements, nerveux, perdus, bataillant des ces trois femmes. On est pris d'emblée dans le feu du film, des nerfs à la réflexion, on ne se pose pas une seconde, c'est complètement physique.

Si le film se propose comme un film de femmes, les hommes ne sont pas en reste, loin de là, chacun a l'espace de placer sa réaction face à la femme qu'il aime. Et, si ici la religion n'entre pas en jeu, ce sont l'honneur et la tradition, même de l'homme à l'aspect le plus libérale, qui sont exacerbés, mis à mal. Ils ne sont pas tous des diables et tentent de s'en sortir aussi entre poids de l'honneur et douleur des épouses (ou fiancées).

Le plus poignant du film reste ces agressions incessantes, totalement insupportables parce que quotidiennes. Fayda refuse donc de vivre avec quand elle s'inscrit dans le cours de la douce mais blessée Seba, plus aisée mais agressée elle aussi un soir de victoire au football. Alors, derrière la fabrication de ces petits danseurs en fil de fer (magnifique première scène du film), elle donne des conseils aux femmes pour ne plus se laisser faire, pour cesser d'être "le sexe faible". Ce qu'on leur demande de taire est insupportable. La solution de la justice n'est pas celle qui les sauve, elle n'aboutit pas. Alors, décidée à ne pas se laisser faire, Fayda entraine, sans le vouloir vraiment, ses deux nouvelles camarades sur son chemin violent, ne se posant plus vraiment la question de la culpabilité, la frontière de la distinction entre bien et mal est franchie.

En parallèle, l'enquêteur traque le moindre indice pour découvrir l'identité de l'agresseur, ce sont des bourreaux devenues victimes qu'il découvre. Et, comme celui du réalisateur, son cœur balance alors pour le combat de ces femmes. S'il ne cautionne pas la violence, il voudrait que les actes de ces femmes aboutissent. Il dépolitise leur débat, il ne veut pas en faire des martyrs, ni des portes-paroles et ne cherche pas non plus à les condamner...

La caméra n'a toujours pas lâchée ces femmes "au bord de la crise de nerf", qui finissent par ne plus savoir se positionner les unes par rapport aux autres. En effet, elles vont jusqu'à remettre en cause la question de leur féminité, de leur attitude, du statut de leur image de femme moderne ou archaïque finalement. Reprenant la chronologie naturelle, il suit les femmes jusqu'au procès de Nelly qui a, elle, été obligé d'accompagner son agresseur jusqu'au commissariat pour porter plainte (la première plainte de ce type). Nous, on est toujours emporté par le rythme excellent du film et ses plans qui ne se reposent jamais, se terminant parfois par des flous magnifiques.

Enfin, on peut dire que ce film, même s'il sort largement du lot, s'inscrit dans la lignée de l'explosion des histoires de femmes combattantes au cinéma ces dernières années ("A propos d'Elly" / "Et maintenant on va où?"/ "La source des femmes"), des films qui montrent, enfin, que les femmes peuvent être une force. En espérant que ce magnifique élan d'espoir soulève encore de magnifiques moment de cinéma comme celui-là, mais surtout, bien au delà, des consciences. Ces femmes du monde se battent même si cela qui reste une goutte d'eau dans la mer, on n'oublie pas ces mots là "aux armes citoyennes [...] puisque l'horreur est humaine, sur elle versons nos larmes en pardon"... Bouleversant.

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le 9 juin 2012

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eloch

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