Le refus institutionalisé de reconnaître l'intelligence supérieure d'une femme noire

Rôle principal: Taraji P. Henson dans le role de Katherine Johnson.
Objet: C'est un film politique, comme souvent quand l'espace ou la NASA sont en jeu, donc parlons politique et cinéma, et des carrières personnelles de chercheurs restant dans l'ombre.
Histoire: Ce film montre une quadruple dimension humaine de l'état de personnes restées dans l'ombre: femme, couleur, chercheur, subalterne. Le film et le livre racontent l'histoire et les difficultés incroyables mais vraies de femmes mathématiciennes noires pour simplement arriver à faire leur travail et montrer de quoi elles sont capables. Je suis époustouflé, car le film montre pour la première fois le racisme et la misogynie institutionnalisée dans ce qu'elle a de plus abject, le refus de reconnaître l'intelligence supérieure d'une femme noire.
Dramaturgie: Toute une série de situations absurdes défilent, avec parfois un peu de lourdeur et de lenteur peut-être, mais je peux sentir la gêne de toute une génération et d'au moins un quart de la France qui ne va sans doute pas du tout aimer ce film, ni de se voir confronté à ses propres attitudes.
Force et faiblesses du scénario: Leurs prouesses au travail et savoir garder la force mentale dans une vie dans l'ombre, malgré ces humiliations permanentes, seraient la quintessence du "mérite" des héroïnes méconnus (unsung heroes) qui auraient dû recevoir les honneurs, la reconnaissance publique, et la gloire, mais n'ont eu pour vie qu'une suite d'épreuves d'humiliations et d'absence de retour positif. Sauf exception donc, dans ce film, pour le rôle principal. Curieusement, dans la réalité, Katherine Johnson recevra les honneurs, au final, mais trop tardivement pour qu'elle puisse en bénéficier pendant sa vie et sa carrière. Pas de labo de pointe, pas d'enseignement universitaire, de professorat, de médaille Fields, ni de célébrité donc, pour cette scientifique hors-pair.
Le point le plus intéressant de l'histoire de ce film est plus universel, et dépasse de très loin le cadre de la NASA et de la conquête spatiale, dépasse même les sujets toujours d'actualité brûlante des discriminations raciales ou des femmes, ou des hiérarchies et bureaucraties stupides.
Le nombrilisme des grands de ce monde et des journalistes qui vendent leurs papiers en chantant leurs exploits empêche toujours de voir la vraie histoire, la petite. Car l'honneur des personnalités ne serait rien sans la somme gigantesque de toutes les actions, les anecdotes de tous les anonymes cachés et ignorés, tous ces petits "soldats inconnus" mais cruciaux pour l'évolution et l'avancement de l'humanité. Je ne parle pas de propagande communiste des héros du peuple, ni de politique ici, seulement de la valeur humaine et d'honneur véritable. Spécialement celui de l'honneur des femmes. Ici, il s'agit d'une femme exceptionnelle dans le travail, mais plutôt banale dans la vie, dont les résultats mathématiques et scientifiques ont permit à la NASA de calculer les bonnes trajectoires des missions de Mercury, Gemini et d'Apollo. Évidemment, les héros reconnus de leur vivant, c’étaient ces hommes (Chuck Yeager, Alan Shepard, John Glenn, Neil Armstrong) qui représentaient l'humanité et avaient le courage de mettre leur vie en danger pour conquérir l'espace, contrer l'avance soviétique et faire progresser la science et la technologie par leurs actes et leur esprit. Elle, la femme noire, n'aura pas eu droit à une "ticker tape parade" à New York, le top pour un astronaute ou un président américain, ni au prix Nobel, le top de l'honneur suprême pour les scientifiques.
Mais est-ce si grave? quand on passe toute une vie à faire des découvertes géniales sans espérer le Nobel, et qu'on ne l'a pas reçu, a-t-on pour autant raté sa carrière?


RIP Katherine Johnson

cajole91
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le 24 févr. 2020

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cajole91

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