Greta Gerwig avait déjà exploré dans Lady bird le tumulte qui accompagne le passage à l’âge adulte.
Avec Les filles du docteur March elle reprend la même actrice principale et le même motif: le film est orienté sur le moment de bascule, celui où les jeunes filles deviennent des jeunes femmes.
Le ton est donné dès l’introduction.
Elle marche Jo: d’un pas décidé, pétillante, pleine d’énergie, pétrie de grandes idées, elle refuse de se laisser enfermer dans le rôle de femme au foyer ou “femme de” qu’on dessine pour elle.
Pour son film, Greta Gerwin part aussi en campagne, refuse la narration linéaire en annonçant dès le début la couleur: une discussion entre Amy et Laurie à Paris nous apprend que le jeune homme a été éconduit par Jo. Exit le suspens fleur bleue qui aurait pu faire de cette hypothétique romance le ressort du film. La relation d’amitié amoureuse entre les deux sera bien sûr évoquée (c’est un des piliers de l’histoire de base quand même), mais on n’oubliera jamais que Jo ne se laisse pas avoir si facilement et que Amy a beau être sur la touche, elle aussi a des ambitions.
En montrant des sœurs adultes, la réalisatrice suit la réflexion qu’elle avait déjà développé dans son précédent film (et qu’elle avait interprété aussi dans Frances Ha): il est question une fois de plus de prendre son envol, de ce moment où le cocon familial se redessine, où il faut choisir sa voie, composer avec les évolutions de chacun, où on sait qu’il n’y a pas de retour en arrière. Il faut comprendre alors qu’avancer ne signifie pas oublier, qu’il faut au contraire s’appuyer sur les expériences passées pour construire son propre futur, pour épouser sa destinée.
Chaque jeune femme va pouvoir en fonction de son caractère et de ses aspirations se frotter à la vie, grandir, revoir ses ambitions en fonction des circonstances.
La plus emblématique est toujours Jo: l’indépendante, l’intrépide, la volontaire Jo: celle qui pourrait se reposer sur la faciliter, s’appuyer sur l’amour que lui voue un voisin fortuné mais qui tient trop à sa liberté, qui a trop de fierté pour accepter les critiques, trop d’ambition pour reconnaître qu’elle a peur de la solitude, qui se voile longtemps la face avant de reconnaître qu’elle est malgré tout dépendante de ses attaches.
Jo la fougueuse doute, vacille, mais ne perd pas longtemps le contrôle. Alors que certaines peuvent trouver la félicité dans la vie conjugale, en élevant leur famille au coin du feu, Jo ne trouvera de satisfaction que dans la réalisation de sa passion: l’écriture.
Son moteur n’est pas la perspective d’un mariage mais celle d’une publication, et l’édition de l’ouvrage en question s’apparente ici à un véritable accouchement.
Dans cette optique, on pourra regretter que le film s’achève sur une pirouette: on comprend vers la fin que Jo est à la fois le personnage d’un livre et l’auteur de celui-ci (référence au propre statut de Louisa May Alcott l’auteure des romans initiaux).
Pour rester sur un flou artistique, la conclusion du film se fond avec celle qu’on “commande” qui vient terminer l’histoire du roman sur une note positive: on ne sait donc pas ce qui relève de la fiction dans la fiction ou de la réalité de la Jo qu’on a aimé suivre.
Ce refus d’achever l’histoire résonne comme un aveu d’échec de Greta Gerwin, un refus d’aller au bout de la romance tout en laissant la porte ouverte à une issue heureuse.
Alors qu’on vient de tourner en dérision le rédacteur en chef qui réclame une jolie fin pour satisfaire son lectorat, voilà qu’on nous sert la même conclusion pour satisfaire les spectateurs.
Curieuse pirouette finale pour une oeuvre qui tente de prouver que toutes les femmes ne s’épanouissent pas à l’ombre d’un mari.
Reste que le film propose un beau moment: une plongée historique vivifiante, une réalisation qui sait donner du dynamisme aux différentes péripéties, de la joie de vivre à tous les étages, des bons sentiments à gogo, de belles et bonnes interprètes, et une histoire qui tout compte fait reste très actuelle.