Les Fils de l'homme par Christophe Muller
Critique en règle de notre société actuelle à peine maquillée de futurisme, l’anticipation contestataire est un genre revenu à la mode au cinéma avec des films étant tous des adaptations aux traitements très différents, comme "V pour Vendetta" ou "A Scanner darkly", et dans le cas présent tiré d'un livre paru en 1992 de la romancière britannique P.D. James, qui en dehors de ça a plutôt donné dans le thriller psychologique. Alfonso Cuaron, réalisateur éclectique, livre avec "Les Fils de l'Homme" un film personnel très réussi mais aussi des plus noirs.
Le monde est en ruine, et le Royaume-Uni qui s'en sort tant bien que mal s'est coupé du monde jusqu'à l'extinction inéluctable de l'humanité. La raison principale réside dans le fait que les natalités ont cessé depuis près de deux décennies, comme si la nature avait décidé de reprendre ses droits et de mettre fin à l'autodestruction inhérente aux hommes aux quatre coins de la planète. Dans les cités qui se désagrègent, la grisaille et la boue sont de mise, et l'élite contemple dans sa tour d'ivoire des œuvres d'art en péril, à l'abri d'une société en déliquescence où des kits de suicide sont même en vente libre. A la frontière du pays s'entassent les immigrés rejetés dans une zone livrée au chaos.
Dans ce milieu top craignos, Théo (Clive Owen) est un homme conditionné par la bureaucratie qui va sortir de sa torpeur à la découverte d'une once d'espoir : une jeune immigrée clandestine est en effet sur le point de donner à nouveau la vie. Ce miracle vaut le coup de se battre, mais qu'elle est fragile cette promesse de lendemains meilleurs : non seulement la naissance n'est pas sûre d'arriver à terme vu les circonstances, mais c'est aussi une richesse convoitée dans le but de servir n'importe quelle idéologie opportuniste.
Contrairement à "Equilibrium" (2002) qui compile de façon trop visible des œuvres fameuses ayant comme sujet le totalitarisme, n'en constituant pas moins une honnête série B, "Les Fils de l'Homme" parvient à s'échapper de ses références pour mieux nous renvoyer au visage des horreurs bien contemporaines, et peut-être tenter de réveiller tous les Théo et les pousser à réagir, voire à agir. Si l'histoire se déroule en 2027, le futur présenté n'est ainsi que le reflet d'une situation qui n'a pas attendu le nombre des années. Jamais prédiction pessimiste n'a de ce fait paru aussi proche, ce qui en fait un film d'autant plus effrayant. L'occasion de dénoncer plus particulièrement les pays développés qui applique une politique sécuritaire et autarcique tout en vendant leur idéal démocratique aux populations en difficulté.
Là où Alfonso Cuaron a fait fort, c'est qu'il a su allier un fond très riche à une forme maîtrisée. Le style a souvent des allures documentaires, avec une caméra à l'épaule qui n'est pas là pour faire branché mais reste toujours au service de la narration jusque dans des passages virtuoses. Ce parti-pris atteint ainsi son but : un maximum de réalisme pour une efficacité redoutable.