La nuit, l’heure de tous les dangers, où ceux-ci nous guettent sans que nous puissions les voir à l’avance. Des mondes cachés s’animent, ceux des Forbans de la nuit, où tout est permis, y compris les rêves les plus fous, mais ceux-ci virent souvent au cauchemar.


Une poursuite dans les ruelles sombres de Londres, de grands plans d’ensemble avec un homme seul fuyant ses démons. Dès les premiers plans, le ton des Forbans de la nuit est donné, et le décor est planté. Harry Fabian est cet homme qui cherchait à semer l’une des innombrables personnes à qui il devait de l’argent. C’est un beau parleur qui s’engage dans des affaire de toutes sortes dans l’espoir de faire carrière et faire fortune, quitte à devoir mentir et arnaquer ceux qui lui accorde sa confiance.


Il trouve toujours quelque chose de nouveau qui présente une opportunité, pour imaginer les rêves les plus fous. La moindre idée génère une escalade d’espoir et de folie, au grand dam de Mary (incarnée par la sublime Gene Tierney), sa fiancée, bien plus responsable, et qui a les pieds sur terre. Le spectateur découvre ainsi un personnage à l’allure sympathique pour l’enthousiasme qu’il dégage, mais qui suscite aussi la méfiance quant à ses véritables motivations.


Cette ambiguïté caractéristique des personnages de films noirs donne énormément de densité au personnage de Harry Fabian, remarquablement incarné par un Richard Widmark littéralement possédé par son rôle. Autant que ses actes peuvent être répréhensibles et sa chute inévitable, le spectateur souhaite, dans un coin de sa tête, qu’il réussisse pour enfin s’en sortir, ce qui génère une forme d’empathie envers ce loser pathétique.


Les Forbans de la nuit raconte la destruction de l’espoir, la perte de la raison à cause d’une ambition dévorante, et une fuite perpétuelle à l’égard de ses propres démons. Car, même s’il parvient à se cacher après avoir fui une première fois, Harry Fabian ne cessera de fuir pendant toute la durée du film. Une fuite pendant laquelle le petit arnaqueur multiplie les ruses et les astuces pour toujours s’en sortir, à quel point le spectateur se demande quand il finira par heurter le mur qui se dresse face à lui et qu’il ne pourra éviter.


Les Forbans de la nuit est un film qui exalte et qui étouffe, dans sa capacité à annoncer d’emblée l’inéluctable, mais à toujours retarder l’échéance, tout en aggravant la situation. Le film montre une société où les gens sont acculés par le manque d’argent, faisant de leur mieux pour économiser, à l’instar de Mary, ou, souvent, devant avoir recours à des méthodes illégales, et devant commettre les pires bassesses pour parvenir à leurs fins. Jules Dassin offre un véritable panorama de ce monde caché par l’obscurité de la nuit, que nous sillonnons en suivant les pas d’Harry Fabian. Le film nous décrit une ville vivante, grouillante, qui ne dort jamais, et dont l’immensité écrase les individus une fois qu’ils sont isolés. C’est l’image d’une société cacophonique, où les masses sont incontrôlables et écrasantes, et où les individus, seuls, sont rapidement dépossédés.


Peut-être que la fuite illustrée dans Les Forbans de la nuit fait écho à l’exil de Jules Dassin suite à la chasse aux sorcières liée au McCarthysme ? Toujours est-il que le cinéaste offre ici un film extrêmement sombre, tragique, cruel, où s’enchaînent les désillusions et les catastrophes. Tout est fait pour montrer l’échec d’un homme qui crut toujours en sa réussite, mais dont le sort et les choix l’en privèrent en permanence. Tout, finalement, semble résumé dans cette fameuse citation qui résonne dans notre esprit à peine est-elle prononcée : "You’ve got it all, but you’re a dead man."


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 22 nov. 2020

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