Pour sa huitième réalisation, Jacques Audiard s’essaye au Western, tout en restant attaché au thème de la famille, dans sa première coproduction franco-américaine.


Comme un certain Quentin Tarantino avec ses Huit Salopards, le césarisé Jacques Audiard s’essaye au genre du western avec sa huitième réalisation. Adapté du livre de Patrick deWitt, les frères Sisters conte l’histoire de deux frères mercenaires dans l’Oregon au milieu du XIX° siècle. Cependant, loin des westerns spaghetti et des impasses mexicaines, le film se lit comme une fresque familiale et Audiard le décrit lui-même comme un western de dialogues.


Déjà central dans Dheepan, Palme d’Or 2015 au Festival de Cannes, le thème de la famille est ici personnifié par Charlie (Joaquin Phoenix) et Eli (John C. Reilly) Sisters, deux frères très différents à la complémentarité évidente, aussi bien physique que morale. Là où Charlie est tourné vers le passé, se résigne et se complaît dans une vie de mercenaire dont la soif de sang n’a d’égale que son alcoolisme, Eli lui, cherche à changer de vie, le regard porté sur l’avenir et la nouveauté (la découverte de la brosse à dent, des WC), sans pour autant tourner le dos à sa famille. En opposition à ce duo, Morris (Jake Gyllenhall) et Warm (Riz Ahmed), liés d’amitié autour d’un projet utopique, sont des chercheurs d’or représentatifs d’un rêve américain désillusionné.


Ces personnages, vieillissants et ancrés dans un monde où le règne de la violence est total, vont chacun à leur manière essayer de faire face aux nombreux changements de ce siècle de transition. Le contraste entre la rusticité des deux frères et la modernité de San Francisco est notamment très marqué et met en évidence le décalage opposant les deux frères. C’est seulement lorsque les deux duos seront amenés à se réunir qu’Audiard pourra exposer son point de vue : la seule utopie viable est la famille.


Les décès de Warm et Morris s’assimilent à l’échec de leur idéal utopique car les deux personnages ne peuvent échapper au reste du monde et à sa cupidité. Seule la famille, qu’importe si elle est biologique ou non (ce qui est appuyé par les derniers mots de Warm) peut permettre aux personnages d’échapper au monde et à leur condition. Audiard soulignera d’ailleurs cela avec un long plan séquence en fin de film d’une bienveillance infinie et représentant la douceur du retour au bercail.


Outre ce plan séquence qui conclura le long-métrage, la mise en scène d’Audiard reste classique : efficace sans être tape-à-l’œil. Une séquence onirique est présente dans le film, une habitude chez le réalisateur qui use régulièrement de ce procédé afin d’exposer les doutes des personnages (Le Prophète). Par ailleurs, c’est la gestion de la lumière et de la musique qui permettra au film d’élever sa portée dramatique. En effet, il n’est pas rare que le film soit silencieux soulignant la force de certains dialogues. De même, la nuit noire accompagne les massacres lorsque le soleil est synonyme de calme.


La force du métrage repose sur l’écriture, notamment celles des personnages principaux interprétés par quelques-uns des plus talentueux acteurs de leur génération : Joaquin Phoenix et John C. Reilly sont très convaincants et Riz Ahmed confirme être l’une des révélations hollywoodiennes de ces dernières années (Nightcall, Rogue One, The Night Of). Jake Gyllenhall, plus en retrait, reste tout de même tout à fait pertinent dans son rôle de détective reconverti en chercheur d’or.


Cependant, malgré ce quatuor de personnages dysfonctionnel très attachant, le métrage souffre de quelques défauts. Passé le deuxième tiers du film et la réunion des principaux protagonistes, le long-métrage semble dénué de but et la narration s’embourbe petit à petit. Miroir inversé du premier tiers du film, le dernier acte, même si il appuie le propos du réalisateur, se perd un peu en dressant des enjeux dramatiques qui sont très vite évacués (les attaques du Commodore) avant une conclusion, si non prévisible, d’une logique implacable.


Si la paisible et lumineuse scène finale, parfaite opposition de la sanglante et sombre ouverture, transfigure à merveille le parcours accompli par les personnages, le long-métrage laisse le spectateur sur sa faim là où la soif de Charlie semble contentée. Audiard réalise un bon drame familial mais tombe dans une impasse et malheureusement pour les amateurs du genre, celle-ci n’est pas mexicaine.

RodGarrison
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le 20 sept. 2018

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