Jacques Audiard qui réalise un western, c'est une nouvelle suffisamment étonnant pour qu'on s'y intéresse de très, très près. Comment son cinéma si particulier allait-il se fondre dans ce genre éculé, et si codifié qu'est le western ? On peut le dire d'emblée, l'exercice est réussi. Avec de l'humilité, du panache et beaucoup d’intelligence.


Qu'est-ce donc que les Frères Sisters ? L'histoire de deux frères qui tuent pour vivre mais pas que. C'est avant tout un merveilleux conte initiatique qui montre le voyage de deux frères inséparables qui s'éloignent pour mieux se retrouver. C'est aussi l'histoire d'une utopie de monde idéal, basée sur l'absence de conflit, de cupidité et fondée sur de vrais principes démocratiques (monde merveilleux prévu à Dallas, au Texas). C'est l'histoire de l'eldorado. C'est l'histoire d'un philosophe un peu particulier. Le lien avec Candide est tellement évident que cela rend d'autant plus compréhensible la quête de l'acteur J**ohn.C Reilly** pour engager Audiard comme réalisateur. En effet, qui mieux que lui pour camper le Voltaire du 21ème siècle au cinéma. Après Un Prophète qui raconte aussi l'initiation d'une petite frappe illettrée aux joies du grand banditisme. Ou encore le palmé Deephan qui dépeint la rédemption d'un soldat défait.


Au fil d'un scénario intelligent, on suit Charlie et Eli Sisters qui sont aux trousses de l'alchimiste Warm (excellent Riz Ahmed) qui détient une formule miracle pour l'orpaillage. Les deux frères sont précédés du détective John Morris (fabuleux Jake Gyllenhaal), qui avait pour tâche de localiser le génie. A la rudesse et la violence des deux frères répondent les bonnes manières et le vocabulaire soutenus des deux autres personnages. Au fur et à mesure que l'histoire progresse, les différents antagonistes s'allient au fur et à mesure pour donner un alliage hétérogène et étonnant allant dans la ruée vers l'or dans le grand ouest. Un grand point fort du film.


Un film d'acteurs mais également un film de situations plus ou moins loufoques et absurdes où l'on sent un peu l'influence des frères Coen, notamment lorsqu'il s'agit de tuer ce qui est déjà mort, où lors d'une relation tarifée très particulière. En opposition à cela, on nous offre également une profonde réflexion sur la condition humaine. Gagner de l'argent pour quoi faire ? Pourquoi autant de cupidité et de violence et à quel prix ? Celui de la nature, de la santé ? Est-ce que tout cela en vaut le coup ? Une scène mémorable d'orpaillage la nuit tombée dans une rivière apporte une réponse cinglante à ces questions. Où comment l'argent rend fou et nous détourne de l'essentiel. Mais comment ce qui importe réellement réapparait avec de plus en plus de vigueur. La famille, la liberté, le vivre ensemble. Ainsi, le personnage de Charlie qui semble être la brute épaisse, totalement barré se révèle peu à peu comme la résultante d'un traumatisme de l'enfance causé par un père violent. Une fois de plus, Joaquin Phoenix prouve qu'il est le meilleur acteur pour jouer les hommes instables.


Enfin, cette caméra qui se perd dans la nature, qui montre des situations incroyables, comme cette rivière qui s'illumine d'or la nuit tombée, ou encore ce plan séquence arrangé dans le finale qui permet de montrer comment la boucle est bouclée. Conte initiatique, voyage pour revenir à la source, les Frères Sisters est un film profondément touchant et émouvant qui donne à rire, à réfléchir et qui permet surtout d'apprendre par où pêche l'humain. Candide 2018.

Andika
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le 6 oct. 2018

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