Puisqu'au Japon les années 70 étaient le terreau fertile à un cinéma transgressif exposant les tabous de la société japonaise au grand jour, il était logique que la communauté des homosexuels et travestis deviennent un symbole de contre-culture mis en avant dans les films. Sauf que Funeral Parade of Roses ne se résume pas à ça, mais témoigne au contraire du bouillonnement intellectuel et contestataire de cette décennie.


La volonté de Matsumoto est de traiter de l'angoisse identitaire de ces minorités, qui n'est en fait que le reflet de l'angoisse d'une société d'ambivalence, perdue entre une Amérique bien trop envahissante (à la fois à cause du traité nippo-américain, contesté dans le film, et du déversement de son capitalisme sauvage) et une culture japonaise entrain de lentement se disloquer. Le film fonctionne donc toujours par reflet : les travestis et leur encrage mythique (Œdipe, Blanche-neige etc...), la fiction et le documentaire (des interviews de vrais travestis et homosexuels sont intégrées), le régime de croyance spectatoriel et sa destruction (nombreux moments de ruptures où les artifices du tournage sont dévoilés), le cinéma underground et ses contradictions (Matsumoto critique la forme d'un cinéma underground qui n'existe que pour elle-même), ou encore la thématique du masque, omniprésente à tous les niveaux.


Et au delà de ces très nombreuses thématiques soulevées, qu'il faudrait un temps fou pour développer, Matsumoto joue constamment sur le terrain de l'expérimentation formelle. Influencé par la nouvelle vague française (comment ne pas penser à Une Femme Mariée de Godard avec cette introduction ?), il va constamment chercher à dépasser son récit (qui, pris à part de la forme, est relativement linéaire) pour atteindre à ce qu'on pourrait appeler une abstraction contestataire. Celle-ci relève à la fois de la création de nouvelles formes (par exemple, le passage du faux film underground, faisant penser à Begotten avant l'heure) et de la prise de position en faveur des mouvements révolutionnaires. Insertion d'images subliminales, expérimentations de montage (jump-cut, cut-up etc.), déstructuration de la lumière pour en faire une matière maléable, mouvements de caméra absurdes : tout y passe, sans jamais sembler gratuit, car la forme est toujours reliée aux problématiques sociales et politiques qui imprègnent ces années 70.


En bref, le film est d'une liberté totalement jouissive, et semble interroger la fonction de l'art dans les changements sociétaux avec une grande acuité qui ne prend jamais le pas sur une forme faisant éclater toute convention filmique, non sans une certaine ironie contagieuse. Encore aujourd'hui, on peut sans difficulté mesurer son influence sur des cinéastes tels que Sion Sono ou Takashi Miike.

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le 9 déc. 2017

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