De la cruauté... De la crudité... Du genre... Et de la sauvagerie...

Voir « Les Garçons sauvages », c’est entrer, pour presque deux heures, dans un espace-temps cinématographique où la distinction entre rêve et réalité se trouve radicalement abolie. « Cette nuit-là, nous fîmes tous le même rêve », déclare, en voix off, l’une des cinq jeunes femmes qui tiennent ici les rôles de cinq adolescents violents, délicats d’apparence mais arborant toute l’arrogance de la richesse dans laquelle ils ont été élevés.


Mais le « rêve » que semble restituer le film - leur rééducation musclée par un « capitaine » qui les embarque sur son petit bateau et les mène jusqu’à une île singulière, qui opèrera en eux une modification profonde - se distingue bien peu du réel meurtrier qui est supposé les conduire à une telle sanction ; il ne tarde d’ailleurs pas à s’entremêler à la trame scénaristique et à la progression de l’action. D’autant plus que, quel que soit l’univers pressenti, l’image est onirique, extrême, jouant tantôt du noir et blanc, tantôt de la couleur, du ralenti, du cadrage, du scintillement, de la superposition, de l’insolite, du phantasme...


Bien que natif de Toulouse, le réalisateur Bertrand Mandico nous entraîne dans un monde empreint du réalisme magique latino-américain. On songe à l’effet perturbant des premiers Raoul Ruiz, longs-métrages pour lesquels ils fallait accepter de lâcher prise, de s’abandonner à une luxuriance baroque et à des enchaînements par glissement plutôt que par structuration logique. Avec Bertrand Mandico à la barre, la narration retrouve plus de rectitude mais son univers est aussi fécondé par celui de James Bidgood et de son « Pink Narcissus » (1971) magnétique, si bien que le spectateur flotte dans un climat psychédélique teinté d’érotisme diffus. Diffus car à la fois élémental et omniprésent. Exemple, ces adolescents qui, pour tout « redressement », doivent ne se nourrir que de fruits ronds, couverts d’une pilosité longue, et s’abreuver exclusivement du jus que des fruits tropicaux suggestivement oblongs leur déversent par saccades dans le gosier... Ingestion de masculin qui aura pour paradoxal effet de dissoudre la testostérone et de féminiser singulièrement les sujets soumis à un tel régime alimentaire.


On peut s’interroger sur la leçon du film, le scénario semblant aboutir à l’idée d’un masculin intolérable, qu’il faudrait urgemment muer en féminin. Mais l’être-féminin ne paraît guère plus viable, une nouvelle fois exposé à la violence concupiscente de ceux qui sont encore hommes... À moins, peut-être, d’atteindre à l’état intermédiaire et souverain de la prêtresse...


Une œuvre qui peut, dans un premier temps, dérouter - à moins que le spectateur se montre d’emblée apte à s’en délecter... -, mais qui, indéniablement, pollinise de manière assez jouissive et éminemment singulière tout un questionnement actuel sur les rôles, attributions, spécificités du masculin et du féminin.

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le 6 déc. 2017

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Anne Schneider

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