Les Garçons sauvages est un objet cinématographiques non-identifié, suffisamment déroutant et décalé pour mériter le détour. Ses outrances visuelles et ses provocations, que certains jugeront parfois gratuites, en rebutent visiblement certains. D'aucuns ne manquent d'ailleurs pas de dénoncer une expérimentation cinématographique creuse, un vain exercice de style, un court-métrage d'une heure quarante cinq ou encore un clip putassier. Pour ma part, je l'ai trouvé suffisamment fantasque et foisonnant d'idées pour passer outre l'abscondité du message.


La direction artistique des Garçons sauvages est tout simplement époustouflante. Au premier abord, et prise dans son ensemble, l’œuvre nous décontenance et nous égare. L'esthétique générale semble surréaliste, le ton peu orthodoxe et le jeu d'acteur en décalage avec ce que le cinéma contemporain nous propose aujourd'hui. Mais à y regarder de plus près, chaque élément, chaque détail semble renfermer un clin d’œil cinématographique ou littéraire : à la fois hommage au cinéma expressionniste, voyage initiatique sous acides et expérience cinématographique expérimentale, le film nous tient en haleine jusqu'au bout rien que par son approche formelle pleine d'audaces. On y retrouve les jeux d'ombres et de lumière de La Nuit du Chasseur ou du cinéma de Murnau et Fritz Lang. Une poésie baroque à la manière de La Belle et la Bête de Cocteau. En creusant un peu, on y retrouve aussi l'inspiration de Paul et Virginie, dans l'évocation de cette nature généreuse et de l'île, symbole d'un eden perdu, loin de la civilisation qui pervertit le cœur des hommes.


On ne peut également s'empêcher de penser à L'Île du docteur Moreau.


Dans les deux cas, un professeur, génial et marginal, s'isole sur une île perdue pour y mener des expériences dans l'objectif avoué de créer des êtres plus civilisés. Animaux transformés en humains pour l'un, garçons sauvages métamorphosés en jeunes-filles apaisées pour l'autre. Avec les résultats que l'on connaît dans les deux cas : succès sur la forme, échec sur le fond.


L'aspect formel est ici au service d'un message diffus qui repose entièrement sur la notion d’ambigüité. Le genre et le sexe sont au cœur du récité, régulièrement remis en cause par les péripéties que vivent nos cinq garçons sauvages. L'interprétation des jeunes comédiennes est à ce titre troublante de justesse et d'ambivalence. Le spectateur embarque dans cette odyssée fantasmagorique chargé de ses préjugés et de ses "petites cases" dans lesquels il range les différents protagonistes, avant de s'en délester au fur et à mesure que le récit progresse et ne fasse voler en éclat toutes les idées pré-conçues.


Bertrand Mandico s'inscrit dans la grande tradition d'Eros et Thanatos : pulsion de vie incarnée par les femmes (dont le ventre fertile déborde de bijoux), pulsion de mort incarnée par les hommes (meurtriers en puissance).


La scène du viol de Romuald (devenu femme) par Jean-Louis (dans ces derniers instants masculins) est lourde de sens.


Au-delà de cette dichotomie fondatrice, Les Garçons sauvages est une ode à l'androgynie, où le désir se porte sur des corps non-attribuables à une catégorie déterminée, et où les attributs masculins et féminins sont distribués (ou retirés) à l'envi. Ne reste que les caractères, les énergies personnelles et l'âme, dont on devine à quel point elles sont influencées et corsetées par la société.


Les dernières minutes du film nous laissent d'ailleurs deviner que le passage par l'île, n'aura fait que transformer les garçons sauvages en filles sauvages... où en paria, dans le cas de Tanguy. Ayant échoué à achever sa transformation, il se retrouve dans un entre-deux qui l'exclue de fait du groupe. Et c'est peut-être finalement là sa vraie souffrance : l'exclusion et la solitude ; l'identité de genre en tant que telle étant toujours acceptable par soi-même si elle l'est par les autres.


Épopée onirique pyschdélique et queer, Les Garçons sauvages surprend par son audace visuelle et son traitement ambigu des thèmes du genre, du désir, des pulsions de mort et de la pression du groupe. On y évoque la transidentité, l'intersexualité et l'androgynie de manière originale et poétique. Œuvre baroque, à la fois excitante et dérangeante, Les Garçons sauvages nous invite à laisser nos habitudes et nos préjugés au vestiaire !

ZachJones
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le 16 janv. 2020

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Zachary Jones

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