Il fallait bien que Bouli Lanners s’attaque à l’enfance : dans sa quête permanente d’authenticité chez les êtres abîmés par un monde qui les dévore, aller chercher du côté de la jeunesse tombe sous le sens. S’emparant de thématiques classiques, oscillant entre Stand By Me, Les 400 coups et Nobody Knows, le cinéaste redistribue les cartes de son univers en confrontant des innocents à la violence et le pessimisme glauque dont il est coutumier. On retrouvera donc la violence, la criminalité et quelques bribes de sens, à l’image de l’intervention de Marthe Keller et sa fille trisomique, enclave de paix dans l’apprentissage rude d’un monde sans justice.
On pourrait considérer Les Géants comme le pendant diurne du crépusculaire Les Ardennes. Dans le même décor, l’enfance apporte encore quelques séquences solaires, et des ébauches d’espoir, tandis que l’arrivée de l’âge adulte a phagocyté toute possibilité de s’en sortir dans le film de Robin Pront.
C’est là le principal atout d’un casting absolument impeccable : dans ce trio d’adolescent, les saillies de l’enfance sont autant de résistances à la dépression et au découragement : l’environnement est un trajet où tout reste à parcourir, qu’importe le nombre d’impasses qui se présentent, à l’image de cette voiture s’enfonçant dans un champ de maïs. Progressivement chassés de partout, dans le dénuement le plus total, les protagonistes expérimentent à la fois l’abandon et la liberté. Pourtant, le rire surgit, la complicité se renforce. L’alternance des séquences s’attache à restituer la psyché en montagnes russes propre à cet âge : un concours cathartiques au coin du feu, un festival de bêtises dans une maison inoccupée sont les sommets d’un parcours dont les autres temps sont dédiés au silence, au froid et à l’inquiétude.
Du monde des adultes sourd deux tendances : le silence par l’abandon de la mère, et la violence des autres. D’où un choix dans l’imitation : survivre par le crime (vol, squatt, délinquance), ou s’évader dans un abandon généralisé de la civilisation. L’intérêt que Lanners porte aux paysages donne la faveur à cette deuxième alternative. Toujours épaulé par l’indispensable chef-op Jean-Paul Zaetijd, le cinéaste filme la rivière à fleur d’eau, les virées en barque et un retour à une primitivité saisissante, sans pour autant l’idéaliser en un Eden retrouvé. Le froid, l’humidité, la pourriture guettent, mais valent toujours mieux que celles que les humains peuvent aussi générer.
La beauté formelle alliée à la lisibilité de ces visages qui n’ont pas besoin de discourir pour exprimer la sensibilité d’un être en plein apprentissage font la sève du cinéma de Bouli Lanners : regarder bien en face la laideur du monde sans jamais renoncer à y faire surgir des ébauches de sens ; puisque la vie est une pulsion et la compagnie un instinct chez l’enfant, les personnages qu’il filme ont tout de géants face à l’adversité. L’ouverture finale, sans céder aux exigences d’un dénouement, ne dit pas autre chose, si ce n’est ce grisant danger qu’est la liberté, et sur lequel se fondent les élans des individus, aussi brisés soient-ils.
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