Avant-hier débutait la rétrospective Wes Craven à la Cinémathèque. Il y a très peu de films de ce cinéaste que j'aime, alors que j'en ai vu un grand nombre, mais il y a une œuvre dans sa filmographie que je tenais à revoir sur grand écran : Les griffes de la nuit.
Je suis fan de Freddy Krueger depuis mon adolescence, et revoir le premier film de sa saga hier soir m'a rappelé qu'il est indéniable qu'il s'élève largement au-dessus de tous les autres slashers, d'hier et d'aujourd'hui.
Alors que le genre, propulsé par Halloween et Vendredi 13, était en plein essor dans les années 80 et que le marché a été inondé de copies de la même formule, Wes Craven a le mérite d’avoir su, dès 1984, avoir le recul suffisant pour tirer son épingle du jeu en apportant tout un lot d’idées originales et en prenant à contre-courant les poncifs du genre.


Je ne vais pas m’attarder de trop sur les mérites du film dont tout le monde doit être conscient, mais il faut quand même rappeler à quel point est géniale l’idée de faire agir le tueur dans le monde des rêves. Parce qu’on peut prendre ça pour acquis aujourd’hui, maintenant que le concept est connu et a été plus ou moins directement repris dans d’autres fictions, mais quand Craven a eu l’idée, c’était novateur. Le fait que Freddy agisse dans le monde des rêves, qu’il peut modeler selon ses envies, ouvre tout un tas de possibilités, et c’est surtout le contexte parfait pour générer un sentiment de vulnérabilité. La conscience des victimes est littéralement endormie, et la confrontation avec le tueur est inévitable : tout le monde doit dormir à un moment ou un autre. C’est aussi très malin par rapport au public ; si certains faisaient déjà des cauchemars après avoir vu des films d’horreur, Les griffes de la nuit n'a fait que justifier la crainte d’aller dormir après le visionnage.
Et le scénario ironise sur ce paradoxe : se maintenir éveillé trop longtemps est nocif, mais le sommeil s’avère encore plus dangereux. Or, le réflexe de tout un chacun quand quelqu’un va mal, c’est de lui dire que ça ira mieux après un bon repos ; combien de fois entend-t-on dire à l'héroïne que tout ce qu'il lui faut, c'est dormir ?
Par ailleurs, c’est rare de voir un film qui retranscrit de façon aussi réussie à la fois l’ambiance et les mécanismes des rêves.
La photographie et la superbe musique de Charles Bernstein participent à créer une ambiance à la fois menaçante et d’un onirisme enchanteur, et les séquences de cauchemar font des allusions futées au fonctionnement des songes, à leur légère absurdité dont on fait fi lorsqu’on est endormi, mais sans pour autant en profiter pour faire passer des raccourcis scénaristiques.


Bien que le seul pouvoir de pénétrer dans le subconscient des ados aurait pu rendre Freddy Krueger mémorable, tout chez cet antagoniste semble avoir été pensé pour qu’il devienne iconique : le choix, d’un mauvais goût affiché, des couleurs de son pull ; son gant griffu, une autre invention qu’on n’avait jamais vue jusqu’alors ; et son visage de grand brûlé, en lien direct avec la genèse du personnage.
Je ne m’en souvenais pas, mais dans ce premier film, sa chair est encore à vif, ses blessures perpétuellement fraîches, comme si depuis sa mort Freddy n’avait pu guérir et devait souffrir constamment. Son visage est tout gluant, organique ; on n'a pas cette stylisation que son maquillage a connu au fil des suites, devenant ainsi moins désagréable à la vue.
Plus globalement, les effets spéciaux à l’ancienne restent bluffants pour certains, d’autres ont pris un coup de vieux, mais il n’empêche que, comme pour la face fondue de Freddy, j’aime particulièrement cet aspect loin d'être clean.


Je crois me souvenir d’une interview de Wes Craven où il expliquait que ce qui lui avait donné envie de faire du cinéma de genre, c’est de s’être rendu compte que l’horreur permettait souvent de livrer un message en sous-texte.
Et dans Les griffes de la nuit, le fond se trouve dans cette représentation d’une jeunesse abandonnée par les figures d’autorité, telles que la police et les parents (divorcés, alcooliques, etc), qui croient agir pour leur bien alors qu'ils font l’inverse. Ironie de la part de Craven, encore, lorsque le père de Glen le condamne plus ou moins à mort, sans s’en rendre compte.
Les parents ont tendance à n’accorder aucun crédit aux dires de leurs enfants, qui doivent alors agir par eux-mêmes.
On peut penser au départ que Tina est le personnage principal, mais c’est finalement Nancy, sous ses airs de gentille fille innocente, qui fait le plus preuve d’initiative. On peut déjà voir qu’elle ne se laisse pas faire, vers le début, lorsqu’elle saisit le couteau à cran d’arrêt de Rod, tandis que son copain en est effrayé.
C’est là aussi une des forces des Griffes de la nuit, et dont la plupart des slashers sont dépourvus : des personnages attachants, qui ont une réelle personnalité et ne sont pas réduits à un statut de futures victimes. Les situations de teen movie du début amusent, mais le premier meurtre est d’une telle violence que subitement, on ne rit plus. Les hurlements déchirants de la première victime aident grandement à rendre la menace sérieuse ; aussi fun que puisse être, à d'autres moments, l’humour noir et sadique du personnage de Freddy.
Avec ces héros dont le sort nous importe, et ce méchant à la fois inventif et imposant, au final le nombre de victimes, très peu élevé en fait, importe peu.
Encore trop peu de réalisateurs de films d'horreur semblent s'en rendent compte...
D'ailleurs tout ça, cette ambiance, ce traitement des personnages, ce fond… c’est totalement absent du remake de 2010, d’après le peu de souvenirs qu’il m’a laissé. Oublions, disons que ce n’était qu’un mauvais rêve…


http://www.mediumscreen.com/2016/07/critique-les-griffes-de-la-nuit-de-wes.html

Wykydtron IV

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