Ah, le cinéma d'auteur! Ce terme générique qui désigne un genre de films très particulier qui pourtant, dans l'ensemble, n'ont souvent rien à voir, avec des œuvres aussi diverses qu'Andrei Roublev, Ma Nuit Chez Maud ou Mulholland Drive! Des films au style singulier, au fond parfois très complexe, qui ont tendance à rebuter les profanes mais suscitent l'admiration d'un bon nombre de cinéphiles, même si certains peuvent parfois diviser grandement (cf. Lynch, Bresson, Rohmer ou Godard)... Une véritable initiation est parfois nécessaire, tant certaines œuvres peuvent laisser sur le carreau au premier abord, mais se révèlent passionnantes en persévérant. Mes premiers contacts avec Bergman et Tarkovski furent difficiles, mais en m'y penchant davantage j'ai pu découvrir un genre de cinéma tout à fait passionnant. Il fallait donc que je découvre Bela Tarr, un des derniers représentants d'une lignée prestigieuse en voie de disparition, tel un guépard Viscontien ; nombreux sont les cinéphiles qui en vantent les mérites et se languissent de son art du plan séquence, portant aux nues le marathon Satantango, ainsi que Les Harmonies Werckmeister, qui ont tous les deux ayant une excellente moyenne sur Sens Critique. C'est par le second que j'ai pu découvrir le réalisateur, n'ayant pas encore pu mettre la main sur le premier ; et puis il est sans doute préférable de découvrir l'auteur par un film de 2h20 que par un film de 7h30.

L'ouverture du film, régulièrement citée parmi les introductions mémorables, est prometteuse, avec ces ivrognes qui s'amusent à reconstituer un ballet de planètes tout en discutant de l'éclipse du Soleil par la Lune : c'est à la fois amusant sur la forme et intéressant dans le fond, puisqu'on y devine que c'est une métaphore centrale dans le propos du film. Le tout accompagné d'une très jolie musique, profondément mélancolique. La scène suivante, où le personnage principal marche dans la rue entre l'ombre de la nuit et la lumière des réverbères (comme un écho de la première scène), dans un noir et blanc classieux, et aussi très jolie.

Hélas, passé les premières minutes, j'ai eu du mal à trouver des qualités à ce film qui s'embourbe très vite dans un profond marasme. Je n'ai pas vu d'autre films de Bela Tarr, mais il m'a exactement l'air d'être le genre de réalisateur imbu de lui-même et de son art. Quelle est donc cette fixation sur les plans de gens qui marchent, ou de petits gestes de vie quotidienne (un personnage qui fend du bois, un autre qui se prépare un repas, un autre qui fait la vaisselle), qui n'apportent rien au récit ou alors peu en matière d'ambiance? Certains plans semblent ne pas vouloir en finir, notamment celui des deux gamins qui chahutent. L'ensemble est franchement peu palpitant et souffre de nombreuses longueurs inutiles : Bela Tarr joue le jeu du cinéma contemplatif, pour un résultat qui ne se porte pas vraiment à la contemplation, tant certaines scènes sont vides et longues, comme s'il filmait pour le simple plaisir de filmer ; d'autant plus que d'un point de vue photographie, c'est certes bien filmé, et le noir et blanc a toujours un certain style, mais il n'y a pas non plus de quoi mettre Tarr dans les orfèvres de l'image : c'est esthétiquement dans une bonne moyenne, mais pas non plus de quoi s'extasier, et les plans séquences tant vantés ne m'ont pas paru crever l'écran. Pour reparler du rythme, les films de Tarkovski font certes preuve d'une lenteur caractéristique, mais celle-ci est calculée précisément pour aboutir à un résultat envoûtant, avec des images parfois magiques, sans pour autant donner lieu à des scènes inutiles ou redondantes (même pas la fameuse scène de l'autoroute de Solaris, non non!). Les Harmonies Werckmeister, c'est du lent pour faire du lent.

Dans tout ça, l'histoire piétine, comme si le réalisateur s'en désintéressait, avec des personnages fort peu étoffés ; les dialogues sont souvent assez vides, la plupart d'entre eux décrivant de façon répétitive le chaos du monde environnant, sur lequel Bela Tarr s'appesantit alors que, curieusement, il ne le filme qu'assez peu de façon directe (excepté la tardive scène de l’hôpital). C'est d'ailleurs vraiment dommage, car l'ambiance du film en pâtit et il manque cruellement des scènes mémorables pour susciter davantage d'intérêt. Andrei Roublev avait beau être un film très bavard, on assistait aussi à des scènes d'un caractère épique magistral. Sinon, on a le droit à 2 ou 3 reprises à quelques discours philosophiques imbuvables, façon parodie de Tarkovski, pour développer un semblant de fond, celui m'ayant le plus marqué étant celui où le pianiste philosophe sur l'accordement des instruments et les harmonies de Werckmeister du titre - j'ai beau être musicien, ça ne m'a absolument pas parlé.

Ce qui m'amène aux thèmes du film, dont je n'ai absolument rien retiré, mais qui m'a vaguement sembler porter sur le chaos. Alors peut être que le film est pétri de thématiques passionnantes, réservées seulement aux intellos perchés sur leur tour d'ivoire ; pour ma part je n'y ai trouvé aucune piste de lecture intéressante, n'ayant vu qu'un film vide, au scénario rachitique, mal raconté et bizarrement structuré, qui ne cherche jamais à développer un véritable discours ni apporter quelque chose d'intéressant à partir du postulat de départ, Bela Tarr préférant se complaire dans son style cinématographique qu'il veut très sombre. Et par ailleurs, j'ai beau aimer les œuvres baignant dans la noirceur, mais cela ne sert à rien si cette noirceur n'est pas justifiée, si elle ne sert pas à raconter quelque chose de pertinent. Les enjeux sont souvent obscurs, ou tout simplement peu intéressants, de même qu'un bon nombre de scènes par ailleurs ; on a le droit parfois à quelques symboles assez grossiers, notamment ce vieillard nu dans une baignoire, qui se veut sans doute marquant mais qui m'a paru franchement trop simple. A la fin du film, l'histoire semble à peine avoir avancé depuis le départ, il n'y a aucune vraie conclusion au récit.

Bref, je vais certainement me faire quelques ennemis avec cette critique, mais j'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi ce truc a une moyenne aussi haute, et pourquoi tant de mes éclaireurs lui mettent 10/10 (je les invite à éclairer ma lanterne dans les commentaires avant de mettre des dislikes) ; ces Harmonies Werckmeister ne me sont pas apparues comme autre chose qu'un fatras vide et prétentieux, dont le caractère formellement abscons ne semble même pas faire écho à la moindre richesse thématique ; j'y ai vu tous les défauts du cinéma d'auteur, sans y retenir de véritables qualités. Le meilleur cliché du film d'auteur chiant que j'ai pu voir jusque là! Et pourtant, croyez moi, j'aurais vraiment voulu aimer...

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le 9 mars 2014

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OlivierBottin

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