Je voue un amour sans borne aux Hauts de Hurlevent. A mon sens, aucune adaptation cinématographique ne peut approcher la force du texte d’Emily Brontë. Aussi estimables qu’elles soient, les versions de Wyler et de Buñuel ne font qu’effleurer l’essence du livre. On était en droit d’attendre beaucoup d’Andrea Arnold, qui, de Red Road à Fish Tank, trace l’une des filmographies les plus passionnantes de cette dernière décennie. La réalisatrice a choisi une approche similaire à celle de Kelly Reichardt pour La Dernière Piste : format 1.33 :1, approche réaliste, économie des paroles. La lecture sensualiste de l’œuvre se révèle la plus pertinente, remplaçant les descriptions écrites par les images. La nature, ou plutôt la Nature, se révèle le moteur et le liant de l’histoire. Les protagonistes ne sont qu’un maillon d’un cycle qui les dépasse. Violence des sentiments et violence des éléments, une brutalité qui ne connaît ni le bien, ni le mal et qui était le cœur du roman. Aucun manichéisme mais un romantisme terminal filmé avec une âpreté qui déstabilisera ceux qui s’attendent à un énième drame en costumes.


Pour qui adore l’œuvre d’Emily Brontë, c’est la première fois que ses phrases prennent vie au cinéma. On y ressent enfin les tourments intérieurs liés aux déchaînements extérieurs. Les cœurs sont aussi bouillants que les paysages embrumés sont glacés. Dans des conditions cruelles, la vie palpite, se débat, telle les papillons luttant à l’aveugle contre les vitres sales. Deux choix diffèrent essentiellement du roman : le Heathcliff d’Arnold est noir et le dernier tiers du récit est laissé de côté. Pour ce qui est d’Heathcliff, pas d’inquiétude, c’est une bête blessée effrayante et tragique. Quant aux coupes, la réalisatrice parvient néanmoins à intégrer les scènes clefs de la fin, dont la fameuse fenêtre où vient gratter la main fantomatique de Catherine…


Il ne faut donc pas chercher une fidélité absolue à l’écrit, au contraire. C’est une véritable adaptation, une vraie lecture des Hauts de Hurlevent. Andrea Arnold en capture l’âme, le ressenti et privilégie les sensations. S’il y a bien un roman qui se prête à cette interprétation, c’est celui-ci. Ce film ne remplace donc en rien la lecture du livre, au contraire, on ne peut que la conseiller sous peine de ne pas toujours savoir ce qui se déroule à l’écran. On peut aussi se laisser porter par une mise en scène sublime, qui prouve, un an après La Dernière Piste, que la nouvelle génération de femmes cinéastes est en train de faire sa petite révolution du 7e art.
Ed-Wood
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le 29 sept. 2012

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