Si l'on voit le passage de Breaking the Waves à Dancer in the Dark, il est assez complexe de placer Les Idiots au milieu. Je ne crois pas aux changements radicaux de style d'un homme. Je ne crois pas au changement total d'un artiste, et je pense que si le chemin n'est pas droit, les pas dessus suivent un ordre. Dans les trois on voit cette critique d'une puissance normalisatrice qui est encore dans Dogville mais n'est plus, selon moi dans Antichrist.
La puissance normalisatrice semble ici être double. Encore une fois, comme dans Breaking the Wave, la valeur absolue est donnée à l'entre deux.
D'un côté la société, fermée, intolérante, opposée à une chose qu'elle ne comprend foncièrement pas.
De l'autre, la puissance autoritaire du leader du groupe des Idiots. Un leader qui nous rappelle un peu Breton qui expulse Artaud - dont la violence, la folie est trop réelle – et qui soumet constamment les membres à une pression, à un respect borné d'un dogme de la transgression. Oui, pour moi (et même si j'ai forcément oublié son nom 1h après avoir vu le film), est un peu l'André Breton de ce groupe des Idiots.
La société est assez peu présente, elle vient contraster avec le groupe de manière récurrente mais elle n'a pas une place réelle. Elle demeure cependant un ensemble de tentations: celle de l'argent, celle de la famille, celle du consumérisme, celle du travail, celle du sérieux. Entre autres.
Cette société peu présente, cet extérieur, est cependant, on le voit très vite avec les interviews, ce qui attend les personnages.
De l'autre côté, cet huis clos. Dans une maison d'une certaine dimension, vivent un groupe de jeunes oisifs réunis autour de la volonté de faire ressortir leur "débile intérieur". Chacun a sa personnalité, ses spécificités et il est assez plaisant de voir qu'on s'attache peu à peu à l'ensemble.
Là je suis un peu partagé. D'un côté il y a cette oisiveté d'un groupe de gens qui n'essayent pas de modèle alternatif, qui entretiennent pleinement le système critiqué. Il y a en clair, une jeunesse dorée qui s'ennuie. De l'autre, il y a cet idéal de la performance, de l'art pour l'art. Cette idée de ne servir à rien, de ne vouloir servir à rien, et de dévouer son temps à réaliser quelque chose qui ne servira à rien. Qui sera en marge et en opposition du monde utilitariste.
Au milieu, entre ces deux excès, on trouve Karen. Karen est un personnage de l'ouverture. On passe tout le film à ne rien savoir d'elle. Elle est celle qui, la première, la seule aussi, va poser la question "pourquoi?". Elle est celle qui a la beauté des idiots sans en avoir la futilité. Ainsi, elle s'éloigne du gaspillage de nourriture, de même elle s'éloignera de la parodie sexuelle. Parce que sa quête est profondément intérieure et que, plus que tous les autres, elle s'écoute.
C'est parce que dans ses gestes, dans sa démarche, dans le temps qu'elle met à trouver son rôle, elle conserve une totale union avec ce qu'elle est qu'elle est finalement la seule à faire survivre la démarche, à prouver que même s'il n'y a pas de raison, il y a un but.

Une fin superbe. Poignante. Un film qui fait réfléchir sur sa manière de vivre, sue la manière dont on devrait le faire. Mais aussi un film de la mesure, de la justesse.
J'ai reproché à Antichrist un manque de finesse, une envie de choquer pour rien. J'ai reproché à Antichrist de ne pas avoir trouvé de voix. Ici la voix y est, pleinement, et fait de Von Trier, et cela quelle que soit les erreurs, un réalisateur qui a prouvé qu'il pouvait, loin du scandale, être porteur d'une véritable beauté.
Nathaniell
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le 6 janv. 2014

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Nathaniell

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