Les Innocents
7.8
Les Innocents

Film de Jack Clayton (1961)

"We Lay my Love and I Beneath the Weeping Willow. But now Alone I lie and Weep Beside the Tree."

Les manoirs isolés d'une nuit profonde ont souvent été à l’origine de nombreuses peurs développées dès le plus jeune âge. Le cliché d’une personne marchant dans un long couloir étroit, tenant un petit chandelier pour s’éclairer, dévoilant alors quelques tableaux positionnés au milieu d’une tapisserie gothique, marche toujours. Et si cet individu peut entendre quelques bruits, murmurent qui semblent s’échapper du mur, tout en cherchant à le happer, c’est encore mieux.
Ce constat, Jack Clayton a dû le faire lorsqu’un beau jour, il acheva la nouvelle Henry James, Le Tour d’Ecrou. Car voyez-vous, bien que le film ne garde pas en titre le nom du bâtiment, celui-ci est un personnage à part entière du long-métrage. Ce n’est pas pour rien si la première apparition a lieu au sommet de cette « tour d’écrou ».


Mais commençons par le commencement. Et quel début ! Dès les premières minutes du générique, l’ambiance est posée : une voix d’enfant se fait entendre, chantonnant une petite comptine à l’air obsédant.. mais surtout inquiétant. Le tout, dans un noir complet. Ensuite, on voit apparaître des mains, jointes, puis on découvre le visage d’une femme, terrorisée. Le début est donc très prometteur et a de quoi mettre en condition.
Rassurons-nous, ceci ne dure qu’un temps. Le film enchaîne alors sur la rencontre entre Miss Giddens et un homme, qui désire son aide pour éduquer ces deux neveux, Miles et Flora, qui vivent tous seuls avec leur nourrice et domestique Miss Grose, l’oncle devant aller en Italie. Voyez-vous, la précédente gouvernante, Miss Jessel est morte dans des circonstances pour le moins étrange, apprend-on par notre mystérieux homme. Aussi, est-il préférable de ne pas aborder ce sujet en présence des deux gamins.
C’est lorsque Miss Giddens arrive au manoir que l’histoire peut réellement commencer. La dame fait connaissance avec le personnel, puis avec nos deux enfants. Enfin non, au départ il n’y a que Flora, Miles étant à l’école. Finalement, il sera vite de retour, puisqu’il vient de se faire renvoyer. Une fois rentré chez lui, le jeune garçon s’annonce pourtant adorable, tout plein de bonnes manières. Toujours le sourire aux lèvres, il ne cesse de complimenter sa nouvelle gouvernante, en particulier sur sa beauté.

Tout a donc l’air d’aller bien, mais ce n'est qu'un leurre. Dès les premières nuitées, Miss Giddens semble entendre des bruits qui, pourtant, ne proviennent pas des cauchemars qu’elle fait régulièrement. Elle s’aperçoit vite que quelque chose cloche.
Désormais plus proche de la domestique, elle la questionne au sujet de la défunte. Elle apprend alors qu’il n’avait pas que Miss Jessel, mais aussi un valet, Quint. Bien que passant son temps à la maltraiter, Jessel éprouvait pourtant des sentiments à son égard.
Ce sera pour ainsi dire assez rapidement que la gouvernante fera le rapprochement entre le couple défunt, et le comportement de plus en plus étrange de nos deux enfants.. Comme si nos deux bambins n’étaient réellement que personne « physique », leur âme n’étant plus de leur propriété, mais bien de celle de nos deux amoureux disparus..

A partir de là, un jeu de « double » commence. On s’interroge : Miss Giddens est-elle folle, ou bien a-t-elle raison depuis le départ ? Les enfants sont-ils réellement possédés, ou tout cela n’est-il qu’illusion ? C’est une question à laquelle il est dur de s’oser à la moindre affirmation, tant le personnage de la gouvernante, d’abord parfaitement réfléchi et en pleine possession de ses moyens, semble sombrer peu à peu dans la folie.
Cette thèse du double est également appuyé par le discours prononcé par Miss Giddens en apercevant pour la première fois Quint : un homme « beau » et « hideux », d’après elle.
C’est à travers le personnage de Quint et donc de son alter-ego Miles, que les idées les plus intéressantes proviennent. En témoigne la scène où Miles, déguisé, donne une interprétation plus vrai que nature d’un poème. Comme si les mots ne sortaient pas de sa bouche, mais de celle d’un homme, bien plus âgé.
Miles sera d’ailleurs le personnage enfantin le plus développé. Ainsi, malgré son jeune âge, il parle comme un adulte, prêt à charmer sa gouvernante à la moindre occasion. Et Clayton a d’ailleurs bien saisi tout ce qu’il pouvait tirer de ce personnage. En effet, l’ambiguïté qui semble s’installer dans la relation que noue Miss Giddens à Miles est intelligemment utilisée : le baiser volé du jeune homme adressé à sa chère gouvernante en est l’illustration parfaite, et distille un goût assez amer, interrogateur, et surprend.


Vous l’aurez donc compris, Les Innocents n’est nullement un film d’horreur, mais un film entièrement basé sur son ambiance. Il ne s’y passe quasiment rien d’à proprement dit effrayant, mais il n’empêche que les quelques apparitions qui ponctuent le film font leur travail. En effet, la scène où cachée derrière un rideau, la demoiselle aperçoit la première apparition fantomatique de Quint à la fenêtre, est tout bonnement flippante.
La fin ne donne pas vraiment de réponse, et contribue à l’aspect fantastique du film, qui semblait être délaissé petit à petit par le portrait psychologique de la gouvernante (folle, pas folle ?). Sans oublier ce fameux oncle, qui semble bien peu se soucier du sort de ses deux neveux, pourvu qu’il soit loin d’eux..
Si vous ajoutez à cela un Noir et Blanc magnifique, un scénario tout en finesse signé Truman Capote (ni plus ni moins !), et des acteurs très convaincants (à quelques exceptions près cela dit), on peut sans conteste parler de réussite du genre, tant l’atmosphère crée est parfaitement mise en place. On comprend vite l’importance qu’une telle œuvre a pu avoir sur un film comme Les Autres d’Alejandro Amenábar (difficile de ne pas faire le moindre rapprochement) .


Bon après, je sais pas si c’est un problème inhérent au genre, mais je trouve que le film ne s’élève jamais suffisamment pour être plus qu’une référence de genre, c’est-à-dire un chef-d’œuvre à part entière. Mais bon, ne boudons pas notre plaisir !


On pourrait fatalement dire que s’il n’y a qu’un personnage qui connait la vérité sur toute l’histoire, ce n’est nullement la domestique Grose ou un autre, mais belle et bien la maison elle-même, qui a été témoin de tous ces évènements..


PS. Evidemment, inutile de préciser que c’est typiquement un film à regarder dans un noir complet pour une immersion complète et réussie.
New_Born
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le 18 avr. 2013

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