Qu'y a-t-il de plus éphémère que l'euphorie de cette tendre vie, qui nous donne une famille à chérir, une foison d'activités manuelles à profiter et une table bancale, qui rassemble finalement tout ce beau monde ? Joachim Lafosse (À perdre la raison, L'Économie du couple) nous emmène dans un univers aussi dynamique et tourmenté que le nôtre, à travers le prisme tragique de l'inertie, qui est à la fois le fardeau et la délivrance des héros. Un homme maniaco-dépressif, nage et ne s’arrête plus, à la fois pour sa survie, mais également par nécessité. Il ne s’agira pourtant pas de la comprendre davantage, car la maladie ne sera pas de sujet de cette œuvre, où la collision émotionnelle se trouve ailleurs, quelque part entre des métiers de création et de restauration, tenus par un couple qui s’aime et qui ne parvient plus à préserver leur sensibilité.


À l'image de cette ouverture, qui camoufle un soupçon de folie, l'océan apaise et sonne le glas des vacances, voire du paradis. Notons toutefois qu'il y a un bout de chemin entre ces eaux agitées et la berge. Mais la force des détails, la force d'un quotidien qui multiplie les tâches pousse le père de famille, Damien (Bonnard), à interagir sans cesse avec son environnement. La crise sanitaire récente en support fournit également de bonnes raisons de nous laisser respirer un bon coup. Mais ce sera plus de l’ordre d’un essoufflement, car jamais le récit ne laisse sa dynamique sombrer dans le statique, ou bien lorsqu’il est convoqué, cela deviendra un instant de réflexion profond, avant que ne reparte la tempête au sein d’une famille déchirée par mille souffrances. La tension est alors suggérée, puis employée comme un moteur du genre de l’épouvante, car Damien ne dort presque plus et a besoin de conjuguer les formes et les couleurs dans ses peintures, afin d’y décharger son trop-plein.


Le père de famille y développe ainsi une fascination pour tout ce qui est immobile et « amovible », l'obligeant à nager, sans modération, afin de ne pas sombrer ou au moins de flotter, au même niveau émotionnel que Leïla (Bekhti) et son fils Amine (Gabriel Merz Chammah). Sa vivacité serait un recourt admirable et un bénéfice formidable, s’il ne perdait pas constamment le contrôle, ce qui met en danger son entourage. Son énergie effraie, car sa direction est confuse, inconnue et enfin réorientée à la dernière minute. C’est un artiste qui n’a plus conscience du temps qu’il perd ou qu’il génère grâce à ses initiatives, jusqu’à épouser une violence qu’il ne redoute pas, car il ne la ressent pas. Le spectateur partage ainsi l’effroi de voir évoluer ce personnage, mutilé par sa condition et sa famille, qui n’a pas d’autres choix que d’en assumer la protection, malgré le temps fort qu’un couple devrait se partager dans ce fragment de vie, où l’apprentissage et la solitude d’Amine gagnent à être reconnus.


Le cinéaste belge nous laisse ainsi avec des personnages possédés et dépossédés, au même titre que sa caméra, qui s’égare entre deux regards, deux émotions en conflits et qu’on aimerait voit s’apaiser le temps d’une nuit paisible. Mais ce seront bien « Les Intranquilles » qui nous embarquent dans un quotidien inconfortable, où l'humeur change aussi rapidement que la météo, que les avis divergent aussi vite qu’un autre souci vient en rajouter une couche… Tous ces mouvements et tous ces corps insaisissables, tout finit par changer. Il suffit d’évaluer la mine de Leïla ou de Damien jusqu’au générique pour se rendre compte que ni le corps médical, ni les personnes de confiance, pourrait jongler avec autant de situations bouleversantes.

Cinememories
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le 6 févr. 2022

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