La lumière vient de se rallumer, et voilà les cinq premiers mots qui résonnent dans la salle jusque-là aphone, prononcée par une cinquantenaire assise derrière moi. On ne peut pas lui donner tort. C’est vrai qu’il est fort ce nouveau long-métrage de Joachim Lafosse. On ressent même la sensation que le réalisateur vient d’ajouter la dernière pierre au sommet de ce qu’on identifiera comme le mur du cinéma français cette année : solide et infranchissable. Les intranquilles est un film formidable, qui tire tout son charme de ses imperfections visibles. À première vue d’une grande simplicité narrative, le long-métrage ne cesse de nous surprendre par des choix scénaristiques aussi risqués les uns que les autres. Lafosse se joue de nous tel un excellent joueur de poker, et se révèle avoir toujours un coup d’avance. Il se montre audacieux quand il aborde le lourd sujet de la bipolarité par le prisme du regard enfantin/ maternel, puis excellent architecte, tant les multiples décors utilisés ici servent le scénario.


Si on attend Damien Bonnard au premier plan, c’est finalement Leïla Bekhti qui a le premier rôle. L’actrice est merveilleuse dans ce qui est jusqu’alors le rôle de sa vie. Pleine de tendresse au premier abord, c’est en incarnant les milliers d’émotions qui régissent la vie d’une femme désabusée qu’elle parvient à nous toucher en plein coeur. Quand l’injustice traverse l’écran, on ne peut que s’incliner. Bonnard, lui aussi, est comme toujours formidable, bien que parfois un peu trop emporté par la spontanéité de son personnage, au risque de rendre son jeu un peu naïf. La difficulté du rôle qu’il incarne est une excuse suffisante pour lui pardonner. Véritable boule d’énergie, son personnage, épicurien dans l’âme, se retrouve de temps à autre dans un état quasi végétatif. Les deux acteurs (qui conservent d’ailleurs dans le film leurs prénoms respectifs) crèvent l’écran, et sont simplement renversants. Une performance commune qui, je l’espère, sera récompensée par l’industrie, ou au moins saluée par le public. N’oublions par le très jeune Gabriel Merz Chammah, surprenant de volonté, et très prometteur dans ce genre de rôle !
À travers moultes disputes en tout genre, Les intranquilles est le témoin d’une lourde tragédie, celle d’un fils qui voit ses parents se déchirer. Commençant par une ambiance de paix, c’est une guerre paradoxalement remplie d’amour qui se joue devant les yeux du jeune soldat, trop jeune pour être réquisitionné. Le film va à mille à l’heure, le climat est hostile, constamment. Mais quand la corde s’apprête à lâcher, Lafosse rétablit le calme à l’aide de longues scènes où l’art agit de manière thérapeutique. Occupant une place majeure dans l'œuvre, il prend principalement la forme d’un pinceau, quand ce n’est pas celle d’un autoradio jouant de la variété française.


Si le film se déroule principalement à la campagne, il est aussi unique car l’un des premiers à raconter l’ère COVID au cinéma, nos protagonistes principaux arborant de temps à autres des masques sur le nez. On aurait pu s'en passer. Toutefois les Intranquilles est une œuvre formidable, une de celles que l’on a envie de respirer, de ressentir pleinement. Bataille intransigeante soumise aux sommations de ces deux acteurs magnifiques, Les Intranquilles est l' immanquable de cette année 2021. Vous aviez raison, Madame, il est fort ce film.

Baptiste-Gouin
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le 4 oct. 2021

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Baptiste Gouin

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