Rolalalalah… Mais ça m’apprendra à aller voir des films sans rien en savoir et surtout en ne m’appuyant que sur des conseils de proches ! « Ah tu verras ! Les Invisibles c’est vraiment sympa ! Le trio Masiero / Lamy / Lvovsky est vraiment chouette et touchant ! Et puis en plus ça se passe dans notre coin ! Dans le Nord ! Youpi ! » Eh bah voyons ! Merveilleux !


Bon par contre on aurait peut-être pu me préciser la démarche du bousin avant qu’on m’envoie aussi violemment au casse-pipe ! Moi j’aurais bien aimé qu’on me dise « Bon par contre je te préviens, vu que toi tu aimes le cinéma, il faut que tu saches que ce film n’a aucune prétention artistique hein ! C’est tourné à la crade en mode Stéphane Brizé. La seule idée formelle de tout le film c’est de filmer de temps en temps les gens de dos à la "The Wreathler". Aucun effort narratif. C’est juste une reconstitution racoleuse de gens bien dans la dèche et sur lesquels on s’apitoie ou dont on se moque ! Ni plus ni moins ! »


Pffff… Non mais moi ça me gonfle des films comme ça. Ça décide de sacrifier tout un art au service du vrai, tout ça sous prétexte qu’on ne veut pas d’artifice, qu’on veut que les gens s’y croient, et puis surtout parce qu’on veut dénoncer … Sauf que bah – désolé – mais moi je trouve que c’est beaucoup de souffrance endurée par le spectateur pour n’obtenir au final qu’un résultat tout aussi artificiel qu’un « Intouchables » ou qu’un « Notre jour viendra » mais le plaisir en moins !


Ce film est totalement hors-sol. On ne pose jamais de lieu. D’espace. D’univers. On reste coincé dans des refuges et des bureaux qu’on ne prend même pas la peine de filmer convenablement. Tout est focalisé sur des personnages unidimensionnels. Ça parle et ça disserte en permanence. Ça n’a tellement pas de rythme que toute tentative de blague tombe totalement à plat… Pourtant il y a des gens qui se sont marrés dans ma petite salle de centre-ville lillois. Des rires qui m’ont vite mis mal à l’aise. Des rires qui étaient moqueurs.


Parce qu’au fond c’est quand même un peu ça ces « Invisibles » : on va bien se foutre de ces ploucs de pauvres parce qu’ils sont quand même vraiment tous bien concons hein… Et qu’on ne me dise pas « oui mais ça existe quand même ! » ou autres « tu sais y’en a vraiment des comme ça ! » parce que là n’est pas la question. La question c’est « Pourquoi avoir choisi un sujet pareil ? Pourquoi un centre pour femmes SDF du Nord ? Et surtout pourquoi cet humour qui ne repose que sur les réactions débiles de ces femmes là ? Tu as des gens qui sont en galère et on se fout d’eux ! C’est touchant dites-vous ? Eh bah voyons ! Dans ce cas la prochaine fois faisons un film sur un camp de réfugiés africains et moquons nous d’eux parce qu’ils parlent difficilement et surtout parce qu’ils ne maitrisent pas les codes de notre société ! On verra si personne n’y voie de problème !


Ce film est – malheureusement – un nouveau et magnifique spécimen de violence de classe. Et ça ne choque personne. Tout le monde s’en marre. Alors après tout pourquoi pas… Pourquoi devrait-on se poser la question de pourquoi on rit ? Tant qu’on rit c’est l’essentiel n’est-ce pas ? Et puis il est si manifeste que ce film n’a été fait qu’avec des bonnes intentions ! Toute accusation politique ou sociologique ne pourrait être qu’infondée, c’est ça ? De là, vous pourriez questionner ma singulière virulence. Vous pourriez vous demander quelle mouche m’a piqué ? Pourquoi me montrer aussi violent à l’égard d’un film qui lui ne cherche manifestement pas à l’être ? Toutes ces questions seraient pour le coup justifiées, et je pense que je donnerais d’ailleurs sûrement raisons à certains d’entre vous.


Seulement voilà, ce n’est pas parce qu’on ne pense pas à mal qu’on ne le fait pas, ce mal. « Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? » a fait rire beaucoup de gens aussi de son côté. « Les nouvelles aventures d’Aladin » également. Autant de films qu’on ne peut accuser de malveillance. Ils cherchent juste à faire rire. Et pourtant cela ne les empêche pas de jouer la carte de la moquerie sur des stéréotypes raciaux pour l’un ou bien des blagues homophobes ou misogynes pour l’autre. Ce n’est pas parce que des gens trouvent ça drôle que c’est innocent. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas le mal qu’on doit s’interdire de questionner la nature de l’humour utilisé… Et moi, ce qui me choque avec ces « Invisibles » c’est qu’à une époque où on va chercher la petite bête sur plein de questions identitaires (et à raison), on peut malgré tout continuer à utiliser les codes dégueulasses du cinéma naturaliste parisiano-bourgeois pour se moquer gentiment des pauvres de province sans que personne ne voit le problème.


Pour le coup, voilà qui en dit long sur notre société, mais aussi sur l’état de notre cinéma… Désarmant…

Créée

le 26 janv. 2019

Critique lue 2K fois

8 j'aime

5 commentaires

Critique lue 2K fois

8
5

D'autres avis sur Les Invisibles

Les Invisibles
E_nigma
9

Les invisibles - Risible ?

Avant-première – Festival I Feel Good – Le Méliès PAU – Récompense du public. Il est finalement assez rare de se prendre une claque par un film français, il faut également le reconnaître. Le film...

le 2 nov. 2018

17 j'aime

2

Les Invisibles
ffred
9

Critique de Les Invisibles par ffred

Troisième film de Louis-Julien Petit après le réussi et prometteur Discount et le ratage Carole Matthieu. Je n'avais entendu que du bien de celui-ci mais sans en avoir vu ni bande-annonce ni...

le 15 janv. 2019

9 j'aime

Les Invisibles
Cinephile-doux
6

La dignité faite femmes

Une comédie, Les invisibles, vraiment ? Si on peut se féliciter que, pour une fois, le cinéma français parle d'une frange de la population grandement oubliés, la tentative d'en faire une chronique...

le 11 janv. 2019

9 j'aime

3

Du même critique

Tenet
lhomme-grenouille
4

L’histoire de l’homme qui avançait en reculant

Il y a quelques semaines de cela je revoyais « Inception » et j’écrivais ceci : « A bien tout prendre, pour moi, il n’y a qu’un seul vrai problème à cet « Inception » (mais de taille) : c’est la...

le 27 août 2020

235 j'aime

80

Ad Astra
lhomme-grenouille
5

Fade Astra

Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que...

le 20 sept. 2019

206 j'aime

13

Avatar - La Voie de l'eau
lhomme-grenouille
2

Dans l'océan, personne ne vous entendra bâiller...

Avatar premier du nom c'était il y a treize ans et c'était... passable. On nous l'avait vendu comme l'événement cinématographique, la révolution technique, la renaissance du cinéma en 3D relief, mais...

le 14 déc. 2022

158 j'aime

122