Jardin, subst. masc.
ETYM: Mon film est avant tout une histoire d'amour et de création, les personnages m'intéressent davantage que l'exactitude historique (Alan Rickman, cité par Aurea)
(Cf. aussi Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert) Jardins anglais: plus naturels que les jardins à la française


1. Paradis
On écrira aussi jardin dans ce sens avec une initiale majuscule et l'on le fera précéder d'un article déterminé masculin pour signifier au mieux son caractère unique et irremplaçable.
Quête pour l'horticulteur de l'Eden perdu et de sa représentation terrestre. De même que le Roi Soleil veut un paradis pour Versailles.
Versailles sera un paradis ! (Louis XIV, Les Jardins du Roi)
Il est bon de rappeler comme le fait Alan Rickman, botaniste bien connu et expert en potions, qu'un jardin ne se réduit pas à un Terrain, plus ou moins étendu, planté de végétaux (CNRTL) mais se prolonge en un lieu poétique de fantasmes politique, poétique et mystique. Mystique surtout, puisqu'il doit se faire représentation de l'ordre divin.
Il y avait un jardin qu'on appelait la Terre. Il brillait au soleil comme un fruit défendu. (Georges Moustaki)


2. Représentation sensible de l'intellect
Le jardin, dans sa conception et sa visualisation intellectuelle, à l'état de plan ou de croquis, est par bien des points semblable à une carte heuristique. Aussi symbolise-t-il par son arrangement - l'arrangement suggéré par l'horticulteur - la disposition d'esprit voire les mécanismes poétiques de son créateur.
HISTORIQUE (ou pas: Il est permis de violer l'histoire, à condition de lui faire un enfant (Alexandre Dumas, Mémoires, tome 5): La conception des jardins de Versailles pour l'installation de Louis XIV en 1682 fut le terrain fertile d'une illustration de ce sens du mot. En effet, idéalement, il traduisait l'ordre de l'esprit rigoureux du jardinier André Le Nôtre mais aussi l'esprit torturé et créatif de Sabine de Barra, d'où le heurt de deux jardins conceptuels avant sa réalisation effective.
Aimez-vous l'ordre ? (André Le Nôtre, Les Jardins du Roi)
Note: d'aucuns, au nom de la vérité historique et du rejet du romanesque, suggèrent l'enlèvement de Sabine. Mais c'est là une autre Histoire qui nécessiterait les participations de M.M. Moore et Marais ainsi que de Mmes Demongeot et Cardinale.
Un cour sans femme c'est comme un jardin sans fleurs (François 1er)


3. POLITIQUE Terrain d'enjeu vital
Lieu de culture et d'art (premier art, en un sens), le jardin est aussi par son accomplissement et sa réussite artistique l'un des fondements sûrs du pouvoir.
Le Roi comme son jardinier y voient leur intérêt: s'il prospère, ils prospèrent; s'il se fane, ils se fanent.
M. Rickman montre bien combien un jardin est souvent plus le contexte d'intrigues amoureuses et politiques qu'il n'est l'espace vert lui-même: c'est un symbole. Un tableau dans lequel, poing au flanc pose le Roi entouré de sa cour.


4. Lieu de calme et de repos
Reflet du Paradis perdu, le jardin est aussi un lieu de calme, où l'on cherche la paix. Ainsi voit-on dans cette optique partir le Roi pour Marly et demander qu'on l'y laisse seul pour méditer.
Le jardin et son calme s'oppose à la Cour, son bruit, sa surpopulation et son agitation frénétique.
Le jardin est aussi métonymie de la campagne et symbole du rapport au réel tellurique opposé à l'artifice de la ville.
C'est la boue ! Où que l'on soit, on marche dedans ! Ou sont-ce des crottes de bête ? Crottes et boue jonchent la campagne ! (Philippe d'Orléans, Les Jardins du Roi)
Lieu de méditation et de recueillement, il est un lieu d'égalité où tombent masques, distinctions et uniformes. Il par conséquent propice à la confidence et l'introspection.
Ainsi voit-on les jardiniers se comporter tels les meilleurs des psychanalystes bien avant l'heure, entre eux ou avec leurs semblables, dont le Roi.


5. Métaphore du monde et de ses gens
Le jardin peut métaphoriser le monde.
S'il le fait, l'Homme est figuré en une plante. Le Roi, en un jardinier.
Fort de cette observation, M. Rickman assimile le jardinier à une plante vivace et adaptable, la femme à une rose pure ou vénéneuse et le Roi à la maîtresse plante, plantée là où coule la source de la vie, l'eau.
Les femmes roses sont alors de belles quoique verbales vanités.
C'est le destin de toutes les roses, Sire. (...) Toutes les roses sont exposées aux éléments, votre Majesté. Elles bourgeonnent, s'épanouissent et se fanent. (Sabine de Barra, Les Jardins du Roi) / On est bien peu de chose et mon amie la rose me l'a dit ce matin. (Françoise Hardy)
Chacun est une plante qu'il s'est choisie et qu'il cultive. Si l'on parle à une poire qui nie en être une, l'on doit songer qu'on parle sans doute à un lys travesti en poire qui se pensait redevenu fleur universelle.
Ô, vous venez de comprendre, Madame ... (Louis XIV, Les Jardins du Roi)


6. Le triomphe du travail, de l'art sur la nature ou leurs parfaites noces mystiques.
Il faut cultiver son jardin (Voltaire, Candide)
Louis de Funès avait son jardin d'agrément auquel il travaillait pour se nourrir. Il y aurait créé une rose qui porte son nom.
Le jardin est le lieu du travail salutaire, de la saine fatigue. L'histoire étant histoire de Cour, M. Rickman donne peu d'illustration à ce sens. Il se borne à rappeler le rapport de l'Homme du XVIIe siècle expirant à la lumière et l'avancée du soir ou au soleil et à la terre qui altèrent la peau et les mains. Le jardinier mi-paysan mi-homme de cour est un hybride étrange, une plante entée aux dorures.
Cependant, qui dit Cour, qui dit Roi Soleil, dit Art. Le jardin est maîtrise de la nature ou symbiose entre sauvagerie et civilisation. Pour André Le Nôtre, le jardin est ordre apporté au chaos naturel, pour Sabine de Barra, il est imitation de ce chaos. C'est l'alliance de ces deux concepts qui fera un jardin. Néanmoins, ce sens est lui aussi relativement sacrifié dans l'oeuvre de M. Rickman, plus portée sur les jardins de l'esprit.
CINE: triomphe de l'art cinématographique, des visuels et du jeu des acteurs (Alan Rickman et Kate Winslet en particulier) et d'une fantaisie sur une tendance ordinaire à la reconstitution glauque ou démystifiant. Un juste équilibre entre réalité et choix esthétiques.



  1. SC: *film qui plaira plus aux amateurs du Versailles littéraire et précieux qu'aux passionnés d'Histoire moderne. Aux ouverts d'esprit, poètes et autres visionnaires: courez-y.
    *film qui vous transporte dans une autre époque, où le moindre détail témoigne d'une recherche esthétique qui ravit l'oeil (...) où l'on aime passer un peu de temps, à l'instar de ces personnages rêvés, pour se détendre, simplement, et se couper du brouhaha de ce monde. (Aurea, "Aimez-vous l'ordre ?")


SYN: produit de l'esprit, reflet de la psyché de l'Homme, poésie.
ANT: horticulture, arboriculture, études des plantes.

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le 23 mars 2019

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