Les Larmes du soleil est de ces films qui ont été détruits par la critique le plus souvent en considération d'éléments extérieurs au métrage lui même. Ses torts, être sorti en 2003, l'une des années les plus terribles de l'anti-américanisme primaire, avoir comme tête d'affiche Bruce Willis et Monica Bellucci, traiter d'un génocide africain. Trois symboles de complexes bien français qui ont nui profondément à l'appréciation d'un film qui, une douzaine d'années plus tard, ne cesse de fasciner de nombreux cinéphiles pour certaines scènes de guerre, la musique signée du Hans Zimmer de la belle époque (Gladiator date de 2000, La ligne rouge de 1999), et le discours sous-jacent bien moins impérialiste que présenté. Dans une volonté de réhabilitation, tentons de décrypter ce film pour lequel un bref rappel du synopsis s'impose.


Une unité des Seal est envoyée dans un Nigéria ravagé par la guerre civile pour secourir une ressortissante américaine, médecin humanitaire de son état. Celle ci refuse d'abandonner son dispensaire, dernier havre de paix sous la menace des forces rebelles locales progressant en massacrant à qui mieux mieux. Après un quasi-enlèvement de la doctoresse pour l'extraire de ce bourbier, l'équipe des Seal décide de violer les règles d'engagements et les ordres pour sauver un maximum de réfugiés. Entreprise qu'ils savent vouée à l'échec et qui les mèneront en cour martiale ou sous terre. L'unité, rodée et expérimentée, décide solidairement de désobéir à des ordres contraires à leur morale pourtant éprouvée, et devra traverser la jungle jusqu'à la frontière, poursuivie par les rebelles génocidaires.


Lu ainsi, le scénario n'apporte rien de neuf. Les notions de sacrifice, de militaires sur le retour désireux de racheter leur vie de pêchés, le sauvetage de ressortissants dans un pays en proie à de terribles exactions sont légion dans le cinéma. On retrouve des circonstances similaires dans des films se déroulant sur le sol africain comme Les oies sauvages d'Andrew V. McLaglen (1978), les chiens de guerre de John Irvin (1980) ou la légion saute sur Kolwezi de Raoul Coutard (1980), ce dernier étant inspiré de faits réels. La mort héroïque des protagonistes, abandonnés la plupart du temps pour des raisons politiques ou donnant leur vie par devoir, est également un moteur fort de ce genre. L'adjudant Frédérico, officier charismatique et au fort caractère meurt lors des ultimes combats à Kolwezi, et dans Les oies sauvages, la quasi-totalité du casting est décimée. Aussi décriés soient ces films, souvent abusivement considérés comme des reliquats d'une forme de racisme colonial occidental, ils ne font que relater une vérité trop souvent, et malheureusement, vérifiée. Beaucoup d'états africains, pour des raisons diverses qu'il serait trop long d'expliquer ici, sont fragiles, sujets aux coups d'état et aux guerres civiles avec les atrocités allant de pair. Massacres ethniques ou religieux parsèment l'histoire de l'Afrique et la France n'est pas la plus innocente avec son rôle ambigüe lors du génocide Rwandais entre Hutu et Tutsi au milieu des années 90 faisant près d'un million de morts si l'on considère ses suites.


Un sujet qui divise.


Ce type de film se fait donc relativement rare et Les Larmes du soleil apparait comme un ovni dans un monde alors plus habitué à parler des conflits yougoslaves et tchétchènes, conflits plus proches, plus faciles à disséquer, moyen aussi pratique pour occulter la trop polémique question des troubles en Afrique. Antoine Fuqua en réalisant ce long-métrage met mal à l'aise toute une frange de l'opinion qui ne veut pas se retourner sur ces sujets encore brûlants en métropole. Au Rwanda même, la législation peinait alors à lutter contre le négationnisme du génocide, théorie alors en vogue localement, et la France ne savait comment réagir face aux accusations de complicité dans le génocide de l’ethnie Tutsi. La justice française, actuellement saisie d'une douzaine de plaintes déposées depuis 2004 n'a toujours pas fini d'étudier la question. Il n'est pas étonnant que ce film ait donc été perçu par une partie de la critique comme une gifle de la bien pensante Amérique donneuse de leçons. Aujourd'hui en 2015 il n'est pas rare de lire des critiques de ce film colportant les mêmes fondements subjectifs mêlés à quelques relan d'anti-américanisme.


L'anti-américanisme français du début des années 2000.


Il faut se l'avouer, la presse française a globalement été infecte avec les blockbuster guerrier américains, se faisant l'écho du rejet de la politique vindicative de George W. Bush s'en allant joyeusement envahir l'Irak tout en se moquant ouvertement du refus de l'allié Français. La preuve, la chute du faucon noir, se déroulant lui aussi avec de vilains rebelles africains trouvait son public et une critique toute acquise, le film étant sorti en 2002, surfant sur la vague d'unité et de solidarité post 11 septembre. La guerre en Afghanistan n'avait alors pas fait de ravages dans l'opinion publique européenne. Mais en 2003 tout avait changé, et l'opposition entre la France et les USA à l'ONU - avec comme point d'orgue un discours d'anthologie de Dominique de Villepin sur la vieille Europe qui fit se lever l'assistance, une première - faisait des émules. Les américains boycottèrent dans un même élan patriotique le foie gras, les fromages et tout ce qui venait de France et globalement de la "vieille Europe", exception faite du cousin anglais. Une façon de se défouler après les difficultés des contingents américains et britanniques devant Bassorah, et l'opinion américain devant découvrir qu'une guerre a un bilan humain, tout autant militaire (580 morts pour la coalition en 2003) que civil (on ne compte plus les ONG touchées, les journalistes tués et les attentats comme celui de janvier 2003 à Kandahar qui tue 18 civils américains). De son coté les français deviennent allergiques à toute allégorie de l'héroïsme ou de l'esprit guerrier venue d'outre-atlantique. Les Larmes du soleil sortant en juillet (4 mois après le début de la guerre en Irak) essuie les premiers tirs nourris d'une presse française qui dans la foulée ne manquera pas de décapiter Le dernier Samouraï d'Edward Zwick sorti lui en janvier 2004. Pourtant les deux films sont aujourd'hui souvent cités pour leur musique (celle du The Last Samourai est exceptionnelle), ou pour certaines de leur scène. On peut regretter le manichéisme du premier et l'inexactitude historique du second, mais tous deux avaient de sérieux atouts. La présence d'acteurs forts (Nick Chinlund, connu pour son rôle de pervers sexuel légendaire dans X-Files - Le fétichiste saison 2 et Orison saison 7, Peter Mansah qui joua ensuite dans 300 et Spartacus, mais avec le film d'Edward Zwick le grand public occidental découvre surtout Ken Wanatabe et Hiroyuki Sanada). Une bande son magistrale de Hans Zimmer qui signe les deux films et obtient un Golden Globes de la meilleure musique originale pour Le dernier Samouraï, et enfin deux climax guerrier suffisamment marquants pour être régulièrement relayés sur les site de partage de vidéos avec l'empreinte laissée par le personnage du SEAL Kelly Lake, repris pour le design du héros Soap dans Call of Duty 4 (15 millions de ventes). C'est pourquoi on ne peut que regretter un jugement d'époque fortement subjectif. PREMIERE pour Les larmes du soleil notait que "par les temps qui courent, rien de tout ça ne saurait dissiper l'irrépressible malaise", ne déguisant nullement un avis contaminé par des considérations politiques. tout comme Fluctuat.net et Télérama ne cachant pas une seconde les à priori de leurs critiques basés sur le conflit irakien et accessoirement leur jugement moral sur l'engagement scientologue de Tom Cruise pour Le dernier Samouraï.


A partir de là, que l'on aime ou pas les rôles récurrents de "sauveur de la bonne conscience et dans la douleur" de Bruce Willis, la plastique de Monica Bellucci (pas terriblement crédible en ressortissante américaine bien que passionnée dans son interprétation) , parait bien secondaire. On notera une vision crue et réaliste des exactions sur les populations civiles. Massacres de masse, viols et mutilations, tant d'horreurs que les ONG nous décrivent en tentant d'alerter l'opinion mais que nous condamnons en prétextant de condamner le voyeurisme gratuit une fois mises à l'écran. Qu'on l'accepte ou non, les génocides, comme les guerres civiles plus traditionnelles, sont souvent accompagnés d'une lutte ethnique ou religieuse, et le film aurait été porté par un réalisateur européen et un casting non américain, on lui aurait collé l'étiquette de lanceur d'alerte. On reproche à ce film de faire l'apologie de soldats bas du front s'en allant en guerre aligner des noirs dans la brousse, or ce film montre des valeurs de fraternité, de solidarité et de sacrifice. Les SEAL ne sont plus ces machines huilées que nous servent les navets patriotiques au possible qui ont fait école dans le cinéma B à Z de l'après 2001, au contraire dans un aparté bienvenu, chacun donne démocratiquement son avis, certains vont dans le sens d'un sauvetage des réfugiés, d'autres non, les avis sont nuancés et au final, c'est le plus mutique de tous qui l'emporte en déclarant qu'il ne voyait plus ces victimes comme de simples colis, terme générique accolé aux cibles à exfiltrer. Ils étaient devenus des êtres humains et à ce titre avaient réveillé sa conscience. La conscience était également de ne pas revenir en héros de cette épreuve, l'armée les condamneraient, où la jungle les tueraient. Les barbes blanchis des personnages trahissant la maturité et l'expérience, voire le trop plein de ces hommes fatigués de bêtement agir selon les ordres. D'ailleurs leur sacrifice n'est jamais véritablement montré avec force ralentis ou un pathos exagéré, à une ou deux exceptions près. Certains meurent en courant, traversant un gué, le visage dans l'eau, sans plus de discours. Certains disent le film "pompier", qu'ils apprécient la mort du Lieutenant Murphy dans Du sang et des Larmes (2013) dont l'imagerie lente et baroque révèle bien plus d'ardeur que la mort du moindre des SEAL du film d'Antoine Fuqua. La fin du film n'est ni plus ni moins le récit d'une défaite, d'une fuite effrénée (le passage du gué lance musicalement le thème phare du film, et ouvre trois minutes de débâcle absolue) et les quelques personnes sauvées sont un maigre espoir que la plupart des SEAL dans le film ne pourront apprécier, étant eux mêmes morts, le plus souvent tués dos aux combats.


Dans ce film on discerne une critique - volontaire ou involontaire, chacun se fera son avis mais Antoine Fuqua ne venait il pas de réaliser Training Day film hautement sulfureux sur les accointances inévitables de la police et du milieu - acide de la politique militaire américaine se limitant à sauver les meubles et ses propres ressortissants sans se soucier un quart de seconde des souffrances de la population locale, ou encore de la diplomatie US épinglée pour sa propension à se mêler des conflits politiques africains selon le sens du vent (et de ses intérêts). Finalement, devenu au fil des circonstances l'archétype de l'unité américaine insupportable de suffisance, cette escouade de SEAL portait en elle les germes d'une bien plus féroce critique du système que n'ont pas su voir des critiques aveuglés par une compréhensible mais coupable subjectivité. Ce métrage est loin d'être exempt de défauts. Le colonel ennemi est un monstre de sadisme caricatural, les rebelles ennemis sont infatigables comme devenus eux mêmes les machines à tuer qu'étaient censés être les SEAL, la bataille finale donne dans l'emphase et le revirement de situation est un peu trop rapide. Monica Bellucci n'est pas la plus convaincante et le jeu de Bruce Willis lui appartient, quoiqu'il parait sec et désincarné au possible dans la première partie. Mais le film distille une peur, une terreur (l'attaque de la maladerie est assez difficile, tout comme la jeune fille mourant des mutilations sexuelles infligées par son violeur) que l'on aurait acclamées si elles avaient été finalement l’œuvre d'un film bien de chez nous.


Nous touchons ici aux limites de l'objectivité.

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le 20 déc. 2015

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