Critique rédigée en mars 2020


Les jeux de l'âme outrée par le hasard
Au sein de l'Université américaine de Camden, s'entrecroisent les aléas amoureux de trois étudiants autrefois proches, Lauren (Shannyn Sossamon), Paul (Ian Somerhalder) et Sean (James Van Der Beek), dont les parcours respectifs sont présentés de façon tout à fait obscène au cours de la soirée de fin de semestre. À divers degrés, chacun d'eux va vivre une expérience personnelle impliquant sexe et drogues, qui ne sera pas sans conséquence sur leur état mental...


Second long-métrage de Roger Avary adapté de Bret Easton Ellis réalisé en 2002, après Killing Zoé (1994), Les Lois de l'attraction est une production indépendante dont l'affiche provocante titille malicieusement notre curiosité, annonçant un récit d'une obscénité diffuse. Manifestement implanté dans l'univers du campus movie, mettant en place un univers universitaire peuplé de jeunes gens et de leurs créatures, le film choisit l'audace d'en prendre assez radicalement le contre-pied, privilégiant la mise en avant de la brutalité et de la solitude du milieu au lieu de l'insouciance et l'hédonisme.


Opère notamment dans sa formidable séquence introductive une succession d'allers-retours dans l'espace et le temps racontant à chaque fois le parcours d'un nouveau protagoniste, en repartant depuis un instant précis marqué par un lieu commun. On se retrouve alors particulièrement attentif à certaines opérations narratives, telles que les variations de l'attribution de la voix-off faisant office de filtre subjectif tout au long de cette séquence. Elle livre à l'histoire un accès au point de vue optique et moral de chaque protagoniste semblant se passer successivement le relais de l'énonciation.


Chaque action est filtrée non seulement par les choix de mise en scène, mais également par les commentaires effectués par le personnage lui-même (omniscient) sur ce qu'il est en train de vivre. La dimension a posteriori de la voix-off nous octroie un voyage dans le temps favorable à faire chevaucher deux scènes différentes qui se répondent, ce qui est très éloquent vis-à-vis des motivations des personnages sur leurs faits et gestes


La force du montage permet à Paul de nous apprendre que, quelques temps après une interaction malheureuse avec un garçon homophobe, celui-ci se révèle lui-même être gay. C'est donc à l'encontre de toute évocation possible de sa propre homosexualité que nous déduisons la barbarie.


Cet état de témoignage faiblira dans la seconde partie du métrage, pour laisser place à un récit un peu plus sommaire (alibi d'une intrigue classique en somme) mettant davantage en suspens les attentes du spectateur sur le devenir des protagonistes.


Dans l'ensemble la mise en scène soutient profondément la dynamique d'évasion, en agrémentant au niveau visuel de longs plans rapprochés aux visages et champs / contrechamps,...


isolant un personnage dans le cadre en signe d'enfermement


...arrêts sur image et mouvements de réversion très significatifs sur l'état psychologique des personnages (sentiment d'introversion, impossibilité de se joindre au conjoint désiré...). Au niveau sonore, c'est en mixant plus bas tous les bruits de la scène actuelle pour permettre à la musique ou à la voix-off de s'élever. Le cas échéant, découle un exemple de la complexité de la relation morale des personnages en plein coeur de situations accablantes ; la mise en scène vient en quelque sorte à leur secours, en soutenant leur dynamique psychique d'évasion perturbée par les étudiants indésirables.


On y présente ainsi l'amour comme un terrible moment de solitude, ce qui est évidemment paradoxal. Sujet profond cerné dès le début du film, la troublante métaphore des boules de billard y fait écho et on fait alors le rapprochement avec le double-cryptage du titre Les Lois de l'attraction. Il renvoie d'une part aux critères déclenchant le mécanisme de l'attirance entre les étudiants et le mécanique physique et énergétique de l'attraction des corps en mouvement dans un univers donné. Tout part d'un big bang, en l'occurrence, l'instant T où les trois protagonistes se croisent, se manquent, et, à l'image des boules de billard, partent dans leurs directions respectives, en suivant d'autres lois de l’attraction moins euphorisantes pour eux.


Porté par sa brillante mise en scène et sa narration non-linéaire des plus ambitieuses, Les Lois de l'attraction est un drame social à demi-teinte, qui aurait gagné en reconnaissance s'il avait gagné en profondeur dans sa seconde partie. Saluons sans concession quelques brillantes idées dans sa peinture d'une jeunesse au rabais, hédoniste et profondément corrompue qu'est la nôtre. L'organisation du récit, les phénomènes de mise en scène et de montage, changent un courant film de campus en parabole sur la solitude émotionnelle et les jeux tabous de l'amour et du destin. Tel Kassovitz, le cinéaste canadien s'empare d'un sujet tabou et actuel pour rappeler à nous tous et au cinéma témoins de notre époque: l'important, ce n'est pas ce qu'on filme (dans la mesure où tout peut être filmé), c'est comment on le filme.

Créée

le 18 déc. 2020

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