Avec Christophe Honoré, l'avantage, c'est que je suis toujours surpris par ses films, même si je ne les trouve pas forcément géniaux.


Adapter ce célèbre roman déjà connu notamment pour son adaptation en dessin animé, ça reste un défi. Et je suis un peu partagé avec ce film parce qu'Honoré tente beaucoup de choses qui font sens ou qui apportent à l'écran quelque chose qu'on n'a pas l'habitude de voir, mais je comprends aussi pourquoi le public semble avoir autant mal reçu ce film.


Pour ce qui est des acteurs, trois se démarquent chez les adultes : Golshifteh Farahani, Anaïs Demoustier et surtout Muriel Robin, que je n'ai jamais vu autant à l'aise dans un rôle de ma vie. Pour ce qui est des enfants, ça va forcément déstabiliser le spectateur. En effet, nous sommes habitués, notamment avec les films américains, à de petits enfants acteurs très lisses qui récitent leur texte de façon parfaitement articulée et impeccable. Là, ce sont de vrais enfants, sans doute pas acteurs à l'origine, et ça change tout. Parce qu'ils parlent tantôt comme de vrais gamins en train de jouer (dans le sens faire des jeux), tantôt comme s'ils récitaient un texte avec difficulté. Cela peut donner lieu à un sentiment de malaise, pour ma part je préfère retenir les moments où les gosses jouent ensemble et qui font plus "vrai".


Un truc qui revient dans le film et dont le traitement est assez original, c'est la cruauté animale. Sophie fait des bêtises, et plus ou moins à cause d'elle, des animaux vont y passer au cours du film. Honoré a fait un choix étonnant pour la plupart de ces animaux, les représenter en animation 2D. En plus c'est bien animé et dessiné, c'est mignon comme tout. Forcément, ça crée un contraste avec les actes qu'ils subissent, ça permet aussi au film d'être plus doux, c'est innovant, mais je me demande encore s'il y avait un autre but artistique derrière, hormis celui de bousculer les codes et d'éviter de choquer les enfants au passage. Parce que lorsqu'il veut choquer les enfants avec de la cruauté animale (ça arrive une fois dans le film), Honoré le fait... Mais les gosses sont cruels avec les animaux, ce ne sont que des jouets pour eux (ce n'est pas pour rien qu'un bébé qui marche à peine en voyant un chien voudra le pincer par exemple), je trouve ça bien d'avoir retranscrit ça, on a tendance à l'oublier dans de nombreux films.


Pour ce qui est de la réalisation, il y a beaucoup de hauts mais aussi quelques bas. Le choix de ratio par exemple est assez particulier, puisque le film est majoritairement au format 1:33. Comme on peut s'en douter, ça permet au réalisateur de nous faire une Xavier Dolan (cf Mommy) et ça marche toujours au cinéma. Seulement en dehors de ce passage précis, le choix de ratio ne semble pas faire vraiment sens, Sophie étant heureuse dans la première partie du film, elle n'a aucune raison d'être enfermée dans le cadre. Alors est-ce que c'est pour pouvoir mieux cadrer les enfants qui peuvent apparaître de pied sans être entourés par du vide, je ne sais pas, je me demande encore. Les costumes sont jolis et la photographie plutôt naturelle, donc le film nous ancre dans le réel. Pourtant, Honoré semble vouloir ajouter un peu de désuétude au tout de temps à autre, comme le logo de Gaumont qui est un vieux logo, le ratio 1:33 ou certains choix musicaux (j'y reviendrai plus loin). Il y a aussi ce côté théâtral dans le générique de fin où les acteurs se présentent face caméra. Certains personnages brisent le quatrième mur tout le long du film sans qu'on sache trop pourquoi. C'est une idée qui aurait pu être très bonne si on en saisissait le but mais qui casse un peu la dynamique du film au lieu d'en créer une nouvelle. A côté de ça le réalisateur se permet une scène plutôt dantesque avec le naufrage très bien mis en image. La caméra est un peu tremblante, elle bouge toujours en fait. Alors parfois, le montage est un peu indigeste, comme ce passage où le personnage de Muriel Robin tombe, découpé en bien trop de plans pour faire sourire. Cela donne un ensemble assez décousu.


La musique du film est plutôt particulière. Je n'ai rien à dire sur les chansons que je trouve plutôt bonnes, Honoré a montré dans Les chansons d'amour qu'il sait filmer ce genre de scènes de comédie musicale. Par contre il se permet des choses un peu bizarres. On a d'abord ce personnage qui va chanter en chinois et plutôt faux, ce qui provoque immédiatement le malaise, ensuite des plans dans la forêt accompagnés d'une musique électro qui sort de nulle part, ou encore un leitmotiv où on entend quelqu'un chanter "Sophie" qui là encore semble sortir de nulle part. Il n'y a pas de volonté de cohérence ou de grandiose avec la musique, le réalisateur met purement ce qu'il veut là où il veut, et tant pis s'il perd le spectateur au passage.


La construction du récit souffre donc un peu de toutes ces originalités, enfin souffrir est un bien grand mot. Le film est à la fois une tranche de vie avec des scènes très quotidiennes mais aussi une pure histoire qui se déroule sous nos yeux, c'est rare que des films fassent les deux en même temps. On a donc cette impression de succession de scènes sans rapport entre elles notamment avec Sophie qui va jouer avec son cousin par exemple. En soi ça n'apporte pas forcément de développement à la relation entre les deux personnages, on les voit surtout jouer. Je pense donc que le film aurait gagné en rythme avec un quart d'heure de moins, mais il aurait été plus convenu.


Les malheurs de Sophie est donc un objet filmique très imprévisible et je pense que c'est ce qui explique qu'il a eu du mal à trouver son public. Mais des fois c'est bon aussi de voir des films qui sortent de l'ordinaire. Même si certaines tentatives du réalisateur échouent, les bonnes intentions et les idées sont bien présentes.

GuillaumeL666
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le 4 nov. 2020

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Guillaume L.

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