Apprendre à compter avec Les Mille et une nuits : 1, 2 et 3.

Les Mille et une nuit de Miguel Gomes, un immense film, découpé en trois parties à l'humour immensément jouissif.
Constat ? Trois parties pourtant très inégales, encore et surtout la dernière, d'un non-entrain, d'une mollesse inconcevable.
Parce que nous ne pouvons pas parler des Mille et une nuits en ne prenant pas en compte le film dans son entière immensité, ses trois parties collées les unes aux autres, inséparables.


Ainsi, le volume 1 des Mille et une nuit, L'inquiet, est une surprise à chaque seconde. Un changement radical de perception. Un immense bain de liberté, fureur qui passe et qui repasse, fracassant toute convention, idéologie, pâleur académique d'un cinéma qui n'a ici, aucun lieu d'être.
L'humour, l'humanité de chacun des êtres, l'univers entièrement poétique et pourtant encré bien profondément dans un Portugal moderne, fresque sociétale et politique, poétique au plus profond, et alors c'est immensément rare d'assister ça et là à un film se passant à notre époque, contant le monde en friche d'une société portugaise, tout cela avec une immense justesse, autodérision, humour, ironie phénoménale, se cachant partout où l'on plonge notre regard, finesse qui s’immisce sans qu'on s'y attende, regard infiniment perspicace d'une caméra qui sait comment et où observer la vie.


Parce que Les Mille et une nuit est l'insolence même. Une non-convention permanente. Une joie, une liberté, fureur, légèreté, joie inconditionnelle d'être un humain sur terre, parce qu'il y a l'humour, cet humour parfois très noir, qui reste là accroché à chaque parcelle d'images, de pellicule, de films, d'être. Parce qu'il y a ce sentiment profond, immense, d'appartenance, de bonheur collectif. Peut-être alors comme dans ce cinéma communautaire français populaire, type Petits mouchoirs, ce même sentiment d'identité collective qui fonctionne à merveille.
Mais alors que le cinéma populaire français enchaîne la pâleur et le vide, Les Mille et une nuit compte des morceaux d'existence aux êtres au cœur gros comme des patates, aux visages transpirant de vivacité, sourires édentés ou visages humains et grand, mais à aucun moment tout cela n'est lisse, pâle. Le film ainsi, possède une personnalité rare, OVNI atypique dans un cinéma où la jouissance n'a plus lieu d'être, où l'originalité est devenue plus difficile. C'est pourtant ce que l'on cherche au cinéma, cette originalité tant voulu, cet art immense qui sort de tout carcans.


Heureusement alors, il y a de ces films qui fleurissent de temps à autre, aux quatre coins du monde, procurant alors la fureur que l'on attend depuis toujours. C'est pour cela que l'on aime le cinéma, pour recevoir en pleine gueule ce fracas d'insolence, de provocation, d'imagination qui sort du lot. Trouver la perle rare. Là est le but.
Les Mille et une nuit est une perle rare, d'un humour rare, qu'on ne trouve plus assez facilement dans le monde du cinéma. Et c'est bien dommage.
Vent d'une fureur inouïe, où l'on n'en ressort, à la fin du volume 1, à la fin du volume 2, avec une légèreté rare, le cœur plein d'un humour que l'on vient de recevoir en pleine face. Pour le volume 3, on va en revenir, c'est malheureusement long d'être le cas. On s’ennuie, c'est mou, et on attend l'entrain, la vague qui irradiait les deux premiers volumes, mais qui ici, ne vient jamais.


Ainsi, l'ouragan. La vague. Bourrasque d'eau évacuant tout son monde sur l'être humain que nous sommes, posé, installé là dans le noir d'une salle de cinéma, fauteuil rouge qui permet au spectateur de recevoir l'inconnu en pleine face, confortablement assis, pour qu'il n'est plus à se soucier de lui-même, mais de l'univers rocambolesque qu'est cela du cinéma.


Il faut voir le volume 1 et 2 des Mille et une nuit, mais il n'est pas nécessaire de voir le volume 3, au risque d'en ressortir effroyablement déçu, l'attente d'un rien qui n'est jamais venu, hormis quelques parcelles d'humour, infiniment pâles par rapport au volume 1 et 2 qui irradiaient tout.
Le volume 3, malheureusement, souffre dangereusement d'un manque aigu de rythme, comme un autre souffrirait d'une maladie du cœur.
Un manque de rythme dû, tout d'abord, au manque d'une voix off, narration qui enjolivait le film tout du long dans les deux volumes précédents. Lorsque la voix narrée donnait un joli rythme, elle est remplacée ici par du texte. Oui. Rien que du texte. Abandon de la voix vocale donc, pour une voix par écrit. Ainsi des petits carrés de texte qui se serpentent ici là, sympathiques au commencement, mais qui deviennent vite barbant à la longue, surtout lorsque les fines parcelles de textes deviennent inutiles, anecdotes ici et là d'histoires sans grand intérêt, qui ne semblent servir là que d’appât, d'enjolivement pour remplir un vide bien immense. Le volume 3 des Milles et une nuit souffre ainsi d'un manque profond d'idées, d'imagination, et de rythme. Parce que c'est simple : c'est mou. Sans entrain.

Lunette
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le 16 oct. 2015

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Lunette

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