Jusqu'au sang pour être respecté, jusqu'à Cannes pour se faire écouter

Mais alors, qui est bon, qui est mauvais ? C'est le constat de Ladj Ly et de sa vision réaliste de la banlieue Parisienne, à Montfermeil. Pour son premier film, le jeune cinéaste, déjà réalisateur du très bon documentaire "A voix haute" qui prend place aussi dans le 93, pousse un cri d'alerte sur les conditions de la banlieue, hostile et instable, et qui reste ainsi depuis plusieurs années. Ce sujet n'a pas laissé insensible, à Cannes notamment. Prix du Jury et représentant de la France aux Oscars 2020, "Les Misérables" s'est entouré d'une aura et d'un potentiel très grand, pour devenir une référence dans le paysage cinématographique français, suivant les traces d'un "La Haine" de Mathieu Kassovitz. Quel niveau à atteindre ! Pourtant, le film de Ladj Ly y parvient, peut-être d'une autre manière, mais "Les Misérables" est un grand film.


La construction du film est intéressante. C'est par l'unification d'un pays, qu'il commence. En effet, le pouvoir de la Coupe du monde 2018 et de la victoire des Bleus, a été de réunifier tous les français durant deux mois. Mais deux mois c'est court, et le film montre peu après une société qui dysfonctionne à nouveau, opposant les gentils jeunes de la banlieue contre les méchants policiers. Mais le réalisateur ne prend aucun parti et la fin en témoigne si bien que le film nous remet en question sur, qui est réellement bon dans cette histoire ? C'est pour ça que le long-métrage est captivant. De plus, par les yeux de son personnage principal, Stéphane, un regard extérieur est amené. Étant nouveau dans la brigade anticriminalité de Montfermeil, on découvre avec lui la misère de ces quartiers, les débordements et les actes, aussi bien de la police qui se croit tout permis, mais aussi d'une jeunesse qui vit dans l'inégalité pour survivre dans les quartiers difficiles. Le film prend aux tripes. Il commence en douceur, apporte des touches d'humour toujours dans la justesse et en accord avec la mentalité de ses personnages, et ensuite, monte en tension petit à petit, jusqu'au final intense, violent et explosif. Les derniers minutes sont d'une rare intensité, comme on voit peu souvent, surtout en France, et c'est assez admirable.


Comme le dit si bien le réalisateur, la caméra est une arme. Une arme qui capte si bien la réalité, que le sentiment d'authenticité est d'autant plus vrai. Essentiellement en caméra épaule, sans extravagance, la réalisation est proche des personnages, au cœur de l'action, ce qui renforce la force du film. Dans la réalisation choc de Ladj Ly, une intensité absolument dingue se dégage. L'immersion y est, la caméra est comme un personnage extérieur, et qui pose encore un autre regard sur la banlieue. Les plans de drone servent à l'histoire mais participe aussi à la mise en scène en montrant une vision globale de Montfermeil et de son état. C'est avec une réalisation frappante, qui témoigne de la brutalité de l'histoire qui ne fait que s’accroitre au fil des minutes, que le cinéaste témoigne de la dure vie des ces quartiers qu'il connait très bien. Avec sincérité, force, Ladj Ly se montre virtuose tout en étant mesuré. Il se permet même de faire des plans magnifiques, au cœur d'une réalisation maitrisée et réaliste en tout point.


Et dire que le film m'a bien fait peur à un moment. Il se découpe en deux parties, une première qui se déroule un jour et une autre qui semble être le lendemain. La première est impeccable car on découvre, comme le personnage principal, à bord d'une voiture de la BAC, le quartier en y faisant un état des lieux, les gens qui s'y trouvent et le système pour y régner. Cela, jusqu'au moment où elle nous emporte dans une bavure policière et comment les personnages vont faire pour l'arranger. Une fin de journée, un couché de soleil, une fin de film ? Non, heureusement car à ce moment j'avais un sentiment qui présageait de la négativité en pensant rester sur ma faim. Pas du tout ! Mais bien au contraire, la deuxième journée, ce sont les conséquences et cette partie permet au film de décoller jusqu'au point maximal.


Dans un bain de violence, dans une vengeance d'une intensité démesurée et dans un brio constant de mise en scène, le film décolle jusqu'à un point culminant de malaise, de réalisme brutal et de choc extrême. Ce final accroit toute la force qu'il a fait monter auparavant et se termine sur un final qui nous laisse sans réponse... que ce passe t-il, comment ce duel entre le jeune garçon blessé et en quête de vengeance, et ce policier qui l'a aidé, va se terminer ? C'est ainsi que l'on voit que le réalisateur mais aussi scénariste, ne prend aucun parti, ne se met d'aucun côté. Il montre la vie de ces misérables, de la violence de la cité qu'il connait et de la misère qui règne en maitre sur elle. C'est un cri qui vient du cœur, un cri qui veut faire bouger les choses. Par le biais de la fiction, doté d'un réalisme profond, il montre l'état d'une société qui ne bouge pas. Voilà le vrai message du long-métrage, faire prendre conscience d'une existence que beaucoup ne connaissent pas.


Acteurs inconnus, ou presque, ce sont avant tout des amis du réalisateur qui se retrouvent face à la caméra. Ils apportent chacun une touche différente au film. Le policier calme et professionnel, un autre plus violent, excessif dans les méthodes, presque à l'opposé du premier, mais qui connait les méthodes pour ce faire respecter, ainsi qu'un autre quasiment entre les deux. Le trio d'acteurs, Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Zonga captent leur personnage et comment les rendre réalistes, parfois antipathiques jusqu'à avoir de la compassion pour eux - Il est d'accord de dire que la subtilité n'est pas toujours présente, mais cela ne tâche pas le film -. Ce trio est excellent, mais il sont aussi accompagnés d'une flopée de visages inconnus mais convaincants.


"Les Misérables" était un sérieux prétendant pour la Palme d'Or. Maintenant il l'est aussi pour l'Oscar. "Les Misérables" est avant tout un film choc et l'une des claques cinématographiques de cette année, pour son message et ses nombreux aspects techniques. Bien plus qu'un film, c'est un message qui alarme le gouvernement et même la population, sur l'état d'une partie de la France oubliée ou inconnue d'une grande partie de ses habitants. Il n'y a pas vraiment de coupables dans ce film, simplement des personnes victimes du système les poussant à s'en sortir par le biais de méthodes souvent décriées.
J'ai été emporté par ce récit, un savoureux mélange de fiction et de réalité. Un des grands films de cette année.


8.5/10

J_Cooper

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5

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