2019, année binaire. Très intéressant de voir que les deux films « coup de poing » de l’année sont Joker et Les Misérables, œuvres presque jumelles dans le discours. Deux films-fables à prétention sociologique qui aboutissent à peu près au même constat : la société, et donc l’état, crée ses propres monstres. La fable de Ladj Ly se construit sur un monde sans adultes (on pense aux enfants de Timpelbach version trash) où trois pôles d’autorité se disputent le pouvoir. La police, l’autorité locale (le Maire), et les frères Musulmans. La morale du film laisse perplexe tant sa lecture est sans ambiguïté : les enfants se révolteront contre ceux qui les martyrisent (la police et l’autorité locale, gangrénées jusqu’à l’absurde), préservant l’autorité religieuse - présentée ici comme dernière planche de salut. Sans même d’avis tranché sur le fond, cela mérite débat - et ce débat semble complètement absent de l’appareil critique sur le film. Cela laisse un peu perplexe. D’autant plus qu’une séquence présente le repenti Salah dans une forme de sanctification biblique qui m’a mis très mal à l’aise. (Limite sociologique d’un film qui prétend faire l’Histoire : pas un mot sur la radicalisation où l’emprise possible du religieux sur le laïc).
On a beaucoup comparé le film à la Haine, qui en est pourtant l’opposé : l’ambiguïté poétique de Kassovitz, très scorsesienne, laisse place ici à un film à thèse très militant, se rapprochant beaucoup plus des films de Ghettos américains des années 90. Kassovitz a créé des personnages extraordinaires, vivants et incarnés, ce qui est à mon sens le vrai échec des Miz : les personnages sont des idées, des concepts, des représentations assez manichéennes de ce qu’ils sont censés représenter.
Ladj Ly a beaucoup de talent. Le film est très bien réalisé, et son sens de l’espace est imparable. Il n’est pas toujours très à l’aise avec son casting (des acteurs formidables côtoient ici des acteurs un peu improbables), mais dessine un style très personnel et formellement prometteur.
Mais sur le fond, comme dans Joker, la psychologie à la truelle m’empêche de vivre le film de l’intérieur. Ce sera passionnant de voir, dans quelques années, ce qu’il reste du film dans la mémoire collective. Et notamment cette fin, qui à l’inverse encore une fois de celle de la Haine qui assumait une forme de tragédie shakespearienne, laisse un suspens assez nauséabond et surtout, étrangement facile.

christianT79
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le 24 nov. 2019

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